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en Orient sa conséquence dernière, un partage d’influence, sinon partage territorial, ou elle se rompra violemment à raison de la déception subie par le cabinet russe, car celui-ci n’a pu sacrifier qu’à la perspective d’un concert de vues et d’ambition sa politique séculaire et sa suprématie exclusive et jalouse sur l’empire ottoman. La France aura donc un jour ou à régler avec la Russie les conditions d’une adhésion qu’aucun intérêt capital ne rendrait impossible, ou à paraître sur cette grande scène de l’Orient pour y défendre la liberté du monde. Se concilier l’opinion publique en Europe, calmer toutes les inquiétudes au lieu de les susciter par un appel à des souvenirs dangereux autant que stériles, augmenter ses forces sans agiter les esprits, telle doit être la base invariable de sa politique. Hors de là, il ne saurait y avoir pour elle que déception et impuissance. Dans ces limites, un gouvernement prévoyant et fort peut encore rendre la France l’arbitre de l’avenir ; il peut contenir par la grandeur même d’une telle perspective cette agitation intérieure qui ne sera dominée que par une haute direction et la perspective d’un but légitime.

De cette course rapide à travers l’histoire, de ce coup d’œil jeté en passant sur tant et de si grands intérêts, tirons en terminant une conclusion positive.

Nous avons vu l’Europe, à peine échappée à la barbarie, essayant de fonder l’édifice de la chrétienté sur des principes de droit public que la violence des temps ne lui permettait pas de supporter ; puis nous l’avons montrée suppléant à l’idée morale abîmée au XVIe siècle dans le naufrage de toutes les communes croyances, par un mécanisme ingénieux sans doute, mais plus subtil qu’efficace. Celui-ci devait bientôt conduire les sociétés politiques à la négation même du droit, et de l’apothéose du fait à la lutte entre deux forces prépondérantes.

Cette œuvre s’accomplit aujourd’hui sous nos yeux. Pendant que la Russie écrase la Pologne, efface la Prusse et l’Autriche, et pèse sur toute l’Allemagne méridionale, pendant que son ministre à Francfort est plus puissant auprès de la confédération germanique que le ministre de la cour de Vienne, la Grande-Bretagne, qui entend voyager sur ses terres du comté de Kent à la côte de Coromandel, aspire à faire de Candie, de Suez et d’Aden des étapes nouvelles de la route immense qui bientôt se prolongera de Calcutta aux côtes de la Chine, pour atteindre à travers l’archipel de l’Océanie les rochers de la Nouvelle-Zélande. Les deux mondes assistent immobiles, mais inquiets, à cette prise de possession chaque jour moins dissimulée. Cependant entre