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chimiques au moyen desquelles on obtient d’abord la pierre philosophale, puis de l’or[1].

Cependant, tout en se livrant à de nouvelles études scientifiques auxquelles il n’attachait qu’une importance secondaire, bien que ce soient ses meilleurs titres contre l’oubli, il ne laissait pas de poursuivre toujours avec la même ardeur ses projets favoris, la publication de sa méthode philosophique et l’établissement des écoles pour les langues de l’Orient. Pendant son séjour à Naples, et tout en apprenant la transmutation des métaux, il répandit, autant qu’il lui fut possible, son Grand Art, qu’il retoucha et refit de mille manières, jusqu’à ce qu’il l’eût réduit à un abrégé plus facile à saisir, sous le titre d’Art bref. En outre, il sollicita continuellement les princes et les ecclésiastiques de Naples pour qu’ils fondassent des écoles.

Cependant il tardait à Raymond Lulle de s’adresser à des hommes qu’il croyait trouver plus favorables à ses idées, et ce fut dans cet espoir qu’il se rendit de Naples à Rome, en décembre 1294, pour décider le pape Célestin V, puis son successeur, Boniface VIII, à créer des missionnaires. Le zèle de Raymond Lulle pour la propagation du christianisme est sans doute une qualité singulièrement remarquable en lui ; mais peut-être est-on en droit de lui reprocher d’avoir manqué de prudence et surtout de tact dans les démarches qu’il aventurait pour servir la cause de la religion. Inattentif à tous les évènemens, ne prenant de conseil ni d’appui de personne, et n’admettant dans son esprit d’autre idée que celle qui y était clouée, il allait à l’étourdie comme s’il n’eût jamais dû rencontrer d’obstacles. Déjà il avait échoué, en 1291, sous le pontificat de Nicolas IV, lorsqu’il vint lui parler de l’établissement des écoles. Il ne fut pas plus heureux cette fois, en 1294, auprès de Célestin V, que sa piété peu éclairée rendit si inhabile aux affaires, qu’il fut forcé d’abdiquer après cinq mois de règne. Ce qui démontre encore mieux que Raymond Lulle n’avait aucune connaissance des hommes et des choses, c’est qu’il renouvela sa requête auprès du successeur de Célestin V, Boniface VIII, le Prince des nouveaux Pharisiens, comme le désigne Dante, pontife qui mettait trop d’importance à établir sa puissance temporelle en Italie pour s’occuper sérieusement d’un traité de rhétorique inventé pour réfuter l’Alcoran.

On imagine avec quel dédain Raymond Lulle fut reçu. Étant donc certain qu’il n’obtiendrait rien à Rome, il se rendit à Milan, ville

  1. Voyez Bibliotheca chimica de Mauget, tom. 1er , pag. 332 et suiv.