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SCHILLER.

la théologie et espérait bientôt entrer dans une école spéciale. La volonté du grand-duc en disposa autrement. Il venait de fonder une sorte d’académie militaire. Pour la peupler de sujets distingués, il fit prendre des renseignemens sur les élèves des gymnases ; Jahn lui indiqua le jeune Frédéric, et le duc voulut l’avoir. Cette disposition du prince surprit douloureusement le digne Gaspard et sa femme, qui avaient destiné leur enfant à l’état ecclésiastique et qui se réjouissaient de le voir bientôt suivre cette carrière. Mais le souverain avait parlé, il fallait obéir ; Frédéric entra à l’académie de Charles (Karls akademie).

Pour faire mieux comprendre la nouvelle position de Schiller, et les évènemens qui en furent la suite, il est nécessaire d’expliquer la nature et l’organisation de cette école. Ce n’était d’abord qu’un établissement d’éducation bien restreint, destiné à recevoir quinze pauvres enfans de soldats qui apprenaient la musique et la danse pour être ensuite employés dans la chapelle ou dans les ballets de la cour. Le duc Charles transporta cet établissement à Stuttgardt, et en fit une vaste institution où l’enseignement devait s’étendre, si l’on excepte la théologie, à toutes les branches des connaissances humaines. On lui donna alors le titre d’académie, et elle fut ouverte aux étrangers. L’esprit aristocratique et militaire qui avait présidé à la fondation de cette école éclatait dans tout l’ensemble de son organisation et dans le moindre de ses règlemens. Les jeunes gens admis dans cet établissement étaient divisés en deux classes : les fils de nobles ou d’officiers et les fils de bourgeois ou de soldats. Les premiers portaient le titre de cavaliers, les autres celui d’élèves. La première classe était en grande partie destinée à l’état militaire, la seconde aux beaux-arts et aux arts mécaniques. Toute cette école était conduite comme un régiment : les maîtres d’études étaient sergens, les professeurs officiers, et le gouverneur était colonel. Tous les exercices se faisaient au son de la trompette et du tambour ; les élèves, rangés sur deux lignes, marchaient par file à droite ou par file à gauche, et se rendaient ainsi à la salle d’étude, à la récréation, au dortoir. Les règlemens étaient sévères, et les punitions rudes : pour la moindre infraction à la discipline, on infligeait les coups de plat d’épée, la schlague, et il n’était pas rare d’entendre prononcer l’arrêt du châtiment avec cette terrible formule : Que l’élève soit battu jusqu’à ce que le sang vienne[1] !

  1. G. Schwab, Schillers Leben, pag. 30.