Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/626

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
622
REVUE DES DEUX MONDES.

regarde comme lettrés. Ces érudits, qui ne savent ni lire ni écrire, parlent un idiome qui ne ressemble ni à l’arabe du Coran, dont ils n’entendent pas un mot, quoiqu’ils en répètent quelques versets, ni au dialecte maure parlé dans les villes. Le Bérebère et le campagnard, plongés dans une ignorance et une apathie profondes, crédules, superstitieux, ignorant le mois de l’année, le quantième du mois, et leurs liens de parenté, végètent ainsi, jouets du hasard, instrumens de l’habileté ou de l’ambition.

Les villes du Maroc sont toutes situées sur la côte, si l’on excepte les trois cités de l’intérieur, Fez, Méquenez et Maroc ; on peut citer encore Al-Kassar-Kebir : toutes les autres ne sont que de grands villages, où s’amassent les tribus de la campagne. Fez a conservé de nombreux vestiges de la civilisation mauresque. Les villes de la côte présentent seules des traces, mais peu profondes, de domination européenne. Les traditions sont éteintes ; la conquête de l’Espagne n’est plus qu’un souvenir confus, même pour les classes les plus éclairées. La prééminence de la population des villes sur les habitans de la campagne se manifeste par un caractère physique plus délicat, des mœurs plus douces, un costume moins primitif et plus riche, un logement plus commode et plus propre, une nourriture plus recherchée, un dialecte plus pur, quoique différant encore beaucoup de l’arabe littéral ; enfin, par la pratique du commerce intérieur et extérieur et la connaissance du négoce. Là se bornent le savoir et la civilisation de cette population indolente et avide, chez laquelle l’habitude d’un trafic effronté développe à un point incroyable la fourberie et l’avarice. Le gain d’un centime étoufferait tout sentiment et tout scrupule. Pour elle, le lucre est la seule affaire, la débauche la seule distraction.

Riches et pauvres envoient leurs enfans aux écoles annexées à chaque mosquée. C’est un enseignement mutuel, présidé par un prêtre, qui, à force de hurlemens et de coups de bâton, finit par graver dans la mémoire des écoliers un petit nombre de versets du Coran, soixante ou cent au plus, qu’ils récitent sans broncher, mais aussi sans les comprendre. Ceux que l’on destine à la magistrature, au notariat ou à la cléricature, poussent leurs études plus loin, et apprennent à écrire. Tous les actes officiels sont rédigés en arabe littéral. Dans les grandes villes, à la cour et dans les emplois, on trouve quelques personnages lettrés, connus sous le nom de fekis, écrivant correctement, possédant la langue-mère et le Coran. Uniquement préoccupés des formes de la langue, ils ne s’occupent que