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posaient la véritable force de cette marine. Échappant aisément à la poursuite des navires de haut bord, elles tombaient sur les prises assurées, et triomphaient sans péril. Ainsi s’établissait l’orgueilleuse indépendance du sultan. L’égoïsme et la rivalité commerciale des Européens consolidaient sa position, réputée inexpugnable, et toutes les nations subissaient les conditions onéreuses qu’il attachait à son alliance.

Pendant les guerres maritimes, des XVIIe et XVIIIe siècles, le libre accès des rades de Maroc, surtout celui de Tanger et Tétouan, le bénéfice qui résultait de la neutralité de ces rades pour l’attaque comme pour la défense, offraient aux puissances belligérantes de l’Europe un important avantage. À la même époque, le commerce, susceptible sur cette partie de l’Afrique de prendre une nouvelle extension par la facilité de ses communications avec le centre du continent, offrait aux puissances neutres un monopole précieux à exploiter. Le Portugal, la Hollande, le Danemark et la Suède avaient espéré un moment s’approprier cette partie de la côte de l’Océan, comme les républiques italiennes s’étaient approprié le littoral de la Méditerranée, et se ménager auprès de la cour de Maroc la position privilégiée dont Gênes et Venise avaient joui à Constantinople. Pour quelques puissances, pour l’Espagne par exemple, l’alliance de la cour de Maroc était impossible à éluder. Préoccupée de son commerce de blé et de ses possessions en Afrique, elle devait craindre que l’hostilité des sultans ne l’en dépouillât. L’Angleterre voulait garder Gibraltar, qui, sans l’alliance du Maroc, ne peut subsister qu’à la discrétion de l’Espagne. Enfin, les petits états qui naviguent dans le détroit étaient placés dans l’alternative d’armer en guerre tous leurs navires marchands, ou de payer au sultan une prime d’assurance contre la piraterie.

La tyrannie commerciale et militaire du Maroc sur la navigation européenne, l’exigence d’un impôt arbitraire imposé à tous ces peuples, passèrent donc en coutume. Les uns paient encore un tribut fixe, les autres présentent au sultan, à des époques déterminées, de magnifiques cadeaux. Les nations européennes ont accepté cette ignominie commune, qui leur semble préférable à la domination exclusive d’une seule d’entre elles, sur la côte d’Afrique. Encouragée par cette situation, la cour de Maroc a tout osé. Le taux et le mode de paiement des droits de douane, les droits d’ancrage, les lois commerciales du Maroc, sont devenues vagues et arbitraires. Sans paraître violer ses élastiques traités, cette cour s’est affranchie de toute