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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

réclamaient leurs désirs ; sous le rapport politique, un libérateur ; sous le rapport religieux, un pontife : — Abd-el-Kader.

Ce marabout célèbre soulevait un double levier, religion et patriotisme. Il était parvenu à se créer une généalogie remontant au prophète. Les commentateurs les plus vénérés du Coran bénissaient entre ses mains l’instrument de persuasion arabe, le glaive, et lui ouvraient au trône la voie du champ de bataille. Une fois maître de ces ressources, le marabout vint se jeter aux pieds du sultan de Maroc. On s’en étonne, mais à tort. Il ne pouvait rien attendre de Stamboul, ni des beys de Tunis et de Tripoli, perdus dans leurs embarras domestiques et dans leurs luttes intestines. Il lui fallait, de deux choses l’une, ou reconnaître la suzeraineté du sultan de Maroc, ou se proclamer lui-même khalife et son rival. Les secours offerts à Abd-el-Kader par le gouverneur et les trafiquans de Gibraltar ne pouvaient lui parvenir que par le royaume de Maroc. Si les Anglais lui fournissaient des armes et des munitions de guerre, voire même des ingénieurs, pouvaient-ils fournir des chevaux, des mulets et des chameaux, du biscuit, et de l’orge, des tentes de campagne, des tarbouchs et des babouches, objets indispensables à l’équipement arabe ? Le traité de la Tafna lui livrait sans doute des approvisionnemens, d’armes, de munitions, de vivres ; mais une alliance sérieuse avec la France détruisait le prestige et la force d’Abd-el-Kader. Se soumettre au sultan, lui rendre hommage, était donc pour lui le seul parti prudent et convenable.

Quant à Muley-Abderraman, sa situation n’était pas moins complexe. L’hommage d’Abd-el-Kader, accepté par le sultan, le constituait en hostilité avec la France, et lui faisait courir les chances d’une guerre dangereuse. Si les deux alliés réussissaient contre nous, un vassal ambitieux et turbulent pouvait tourner ses armes contre son suzerain. Muley-Abderraman reçut donc assez froidement les protestations du marabout, et l’ambassade du colonel Delarue, dont le langage fut énergique jusqu’à l’emportement, dut le confirmer dans ses dispositions pacifiques. On prétend qu’il soutient indirectement notre ennemi. Sans doute Abd-el-Kader a reçu par Tétouan et la frontière de Tlemecen des chevaux, des bêtes de somme, des provisions et des munitions de guerre ; un grand nombre de provinces marocaines se sont coalisées pour lui fournir des tentes de campagne : les chameaux de Fez ont été pris en corvée pour le transport de toutes ces fournitures ; mais Muley-Abderraman a protesté que ces transactions ne pouvaient être arrêtées. Nous pensons qu’il dit vrai. Le fanatisme