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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

semaine. Son secrétaire, ou premier ministre, Sidi-Moctar, homme lettré, adroit, plein de tact, ferme, et d’une activité infatigable, possédait toute sa confiance. Mais la mort subite de ce ministre livra au monarque la correspondance secrète de Sidi-Moctar, et les révélations contenues dans ces lettres décidèrent Abderraman à tenir dorénavant les rênes de l’empire. Il donna pour la forme un successeur en titre à Sidi-Moctar. Le titre de sahab, affecté à cette dignité, n’a pas la même signification que celui de visir, et ne correspond pas à celui de ministre. Le sahab est le compagnon et le confident du sultan ; il est le premier des kalibs ou écrivains du palais, dont le nombre indéterminé s’élève ordinairement à dix ou douze. Muley-Abderraman visite maintenant le méchouar deux ou trois heures tous les jours, le vendredi excepté. Dans la cour sont réunis les caïds et les officiers de service, ainsi que les grands fonctionnaires de la ville, prêts à répondre au premier mot du maître. Des soldats équipés sont prêts à se mettre en route pour porter les ordres, et les courriers attendent la réponse aux dépêches qu’ils viennent d’apporter. Là, le sultan donne audience au premier venu de ses sujets ; facilité apparente que les gardiens du palais font payer. Ils reçoivent le cadeau du pauvre aussi bien que celui du riche, et souvent l’audience coûte un panier d’œufs, six poules et un pot de beurre. Les commerçans européens, dont l’argent alimente les douanes d’Abderraman, sont l’objet de sa prédilection spéciale. Il les reçoit volontiers, amicalement, et quelquefois dans l’intérieur même de son palais ; mais les ambassadeurs des puissances européennes ne trouvent jamais en lui que le souverain. Ils le voient une seule fois, en cérémonie, dans la grande cour du méchouar, au milieu de son armée rangée en bataille. Pendant que l’ambassadeur entre d’un côté, le sultan apparaît de l’autre à cheval, accompagné du sahab, de quelques caïds tenant la bride, et d’esclaves portant le parasol ou agitant des étoffes autour et derrière lui. Il s’arrête, écoute la harangue que l’interprète juif prononce à genoux, et lui répond par un petit nombre de phrases officielles qui n’ont pas varié depuis trois siècles. Cet entretien ne dure jamais plus de dix minutes. Le sultan continue sa marche, et l’ambassadeur va traiter de sa mission avec le ministre titulaire, ou avec tout autre agent désigné par le sultan. Livrée à des intermédiaires peu éclairés et accessibles à la corruption, la diplomatie est réduite à une impuissance presque entière.

Le sultan est peut-être de tout son empire l’homme dont le jugement est le plus sain, dont le tact est le plus sûr en matière d’admi-