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LE MAROC ET LA QUESTION D’ALGER.

Le Maroc peut fournir en abondance d’excellente farine, celle de Fez ; de l’orge, du maïs, des fèves, des pois-chiches, du sésame, tous objets d’un commerce très actif avec les îles Canaries et avec l’Espagne ; des peaux de mouton, de chèvre, des cuirs de bœuf, de la cire, du suif, du lin, du chanvre, des gommes de plusieurs qualités, d’excellent alquifoux, équivalant à l’alquifoux anglais, de l’ivoire, des plumes d’autruche, de la poudre d’or, du corail, du coton, du cumin, de la terre savonneuse (qassoul), des bonnets de laine (tarbouchs), des babouches, des feuilles de rose.

La hausse dans les prix, hausse dont nous avons fait connaître les motifs, semblait, en définitive, devoir profiter à l’agriculture et à l’industrie. Il n’en est rien. Pour quelques petits producteurs qui viennent eux-mêmes vendre leurs marchandises dans les villes, la plupart ne traitent pas directement avec le commerce. Le défaut d’argent pour payer l’impôt, ou l’hypocrisie d’une misère qui n’est pas toujours réelle, leur font contracter des emprunts pour lesquels ils hypothèquent leurs récoltes sur la plante, ou leurs laines sur le dos des troupeaux, à un prix très modique. La différence entre ce prix et celui qu’en donne le commerce après la récolte, constitue le bénéfice du spéculateur ; quelques parcelles arrivent à peine jusqu’à l’agriculture, et ces parcelles, les percepteurs des impôts et les gouverneurs des provinces s’empressent de les lui arracher.

Aussi l’agriculture depuis des siècles est-elle stationnaire. Les deux tiers du territoire sont en friche ; le dernier tiers est labouré par une charrue impuissante, dont le soc est souvent en bois. On ne connaît d’engrais que les cendres des champs, incendiés quelques jours avant le labour, auxquelles se mêle fortuitement la fiente des troupeaux. Les agens naturels viennent seuls en aide à l’agriculture. Manquent-ils, tous les fléaux fondent sur les imprévoyantes populations. À la sécheresse et à la disette se joignent l’épizootie, les sauterelles, les fièvres et la peste. Ces chrétiens, que les Maures exècrent, deviennent leur providence. On a vu, il y a quelques années, les équipages européens débarquer des provisions sur une plage jonchée de cadavres, où des femmes, des enfans, des vieillards, usaient leurs forces exténuées et s’arrachaient, en mourant, une poignée de blé.

Les mauvais résultats de la concurrence ont engagé Muley-Abderraman à revenir au système du monopole. L’exportation des bœufs, des poules, des sangsues, l’exploitation des salines, le passage des rivières et bien d’autres spéculations de commerce intérieur, sont autant d’objets de monopole, qui, au terme expiré, lorsqu’on les remet