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répugnances furent corroborées par celles du ministère français. Il ne nous fut pas difficile de détourner Muley-Abderraman d’un projet dont les frais l’épouvantaient d’ailleurs.

Les cadeaux exigés des puissances européennes ont assez souvent consisté en armes et en munitions de guerre. Ce matériel ajouté à celui que les Espagnols et les Portugais ont laissé dans toutes les villes, et à celui qui fut apporté directement de l’Espagne au retour des anciennes expéditions, doit former des arsenaux considérables. En effet, dans toutes les villes du Maroc, vous apercevez beaucoup de bouches à feu, dont quelques-unes sont de gros calibre, de belles pièces en bronze, des obus et des mortiers ; mais quelques-unes, enfouies dans le sable, sont battues par la marée ; d’autres, recouvertes de gazon, sont abandonnées aux portes des villes ; d’autres encore, alignées au pied des remparts, sont dévorées par la rouille. Parmi celles qui figurent sur les créneaux, il y en a de privées d’affûts, d’autres montées sur des affûts vermoulus qu’on peint et qu’on goudronne de temps à autre pour en cacher la vétusté. Près de ces pièces peu formidables s’élèvent quelques piles de boulets rouillés et écaillés, pâture insuffisante pour tant de bouches de fer et de bronze.

L’artillerie ressemble aux remparts qu’elle défend. Pendant que l’on bouche avec du vernis les trous dont les vers ont criblé les affûts, on recouvre avec de la chaux les plaies des remparts et les fissures qu’y pratiquent les rats, leurs innombrables hôtes. Quelques fortifications, entre autres celles de Rabat, de Salé, de Mogador ; quelques châteaux, à Larache et à Rabat, sont encore en bon état et ont conservé une apparence assez imposante ; mais ces constructions, fruit de l’esclavage des captifs chrétiens, ont été souvent exécutées en vue et dans l’espoir d’une prompte ruine. À Rabat, tout croula peu de temps après l’achèvement des travaux ; une foule de Maures resta ensevelie sous les décombres, et le supplice de tous les ouvriers chrétiens vengea leur mort. Ces fortifications, souvent réparées, ne tiendraient pas contre un bombardement de quelques heures.

Pendant cinquante-quatre ans d’un règne orageux, Muley-Ismaïl n’avait pas cessé de puiser dans le trésor pour l’armement et pour la sûreté de l’empire. Il fit réparer la ville de Fez, agrandir et fortifier Méquenez, jeter les fondemens de Fœdale, entre Rabat et Casablanca, porter entre Méquenez et Al-Kassar-Kébir les matériaux nécessaires à l’édification d’une autre ville, restaurer tous les forts détachés qui défendent le cours et la bouche des grandes rivières. Aucun de ses successeurs n’a suivi son exemple ; Muley-Abderraman, préoccupé