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employer pour essayer la véritable valeur de son génie. C’était là-dessus aussi qu’il comptait pour réparer les brèches faites à son modique revenu. « Si le poète souabe Standlin, écrivait-il à un de ses amis, reçoit pour ses vers un ducat par feuille, ne puis-je pas en espérer autant pour une tragédie ? Au-dessus de cent florins, le reste est à toi. »

Cent florins pour cette grande œuvre du jeune poète ! En vérité, la demande était modeste. Ses amis qui, depuis le temps qu’ils avaient passé avec lui à l’école, étaient habitués à le regarder avec une haute considération, et qui étaient bien plus que lui charmés de son drame, l’engagèrent vivement à le mettre au jour, et voulurent coopérer à la publication. L’un d’eux en fit une analyse détaillée ; un autre dessina comme symbole de ce drame de colère un lion en fureur avec cette devise : In tyrannos. Mais, quand Schiller en vint à chercher un éditeur, il éprouva toutes les angoisses et toutes les agitations d’un pauvre auteur dont le nom ignoré n’offre encore aucune garantie aux spéculateurs. Au lieu de recevoir cent florins de sa pièce, il fut obligé de la faire lui-même imprimer à ses frais. Un de ses amis lui servit de caution pour cent cinquante florins, et les Brigands parurent imprimés en vieux caractères sur un mauvais papier gris. Schiller en envoya quelques exemplaires au libraire Schwann, de Mannheim, en le priant de vouloir bien chercher à répandre l’ouvrage. Et quelle ne fut pas la joie du poète lorsqu’un jour il reçut une lettre de Schwann, qui lui annonçait qu’il avait montré ce drame au baron Dalberg, directeur du théâtre de Mannheim, et que Dalberg désirait le faire représenter, si l’auteur voulait en modifier certains passages ! C’était là un résultat que Schiller n’avait pas osé espérer, un résultat d’autant plus heureux, que le théâtre de Mannheim, habilement dirigé et possédant des acteurs tels que Bock et Iffland, passait alors pour un des premiers théâtres de l’Allemagne.

Schiller entra immédiatement en correspondance avec Dalberg, qui lui indiqua plusieurs scènes à changer, et diverses nuances de caractère à adoucir. Après maint essai et mainte correction, la pièce fut agréée, et l’on convint de part et d’autre de la faire jouer prochainement.

En même temps que Schiller travaillait ainsi à réformer son drame, il préparait l’Anthologie poétique, qui fut publiée en 1782. C’était un recueil de différentes poésies lyriques, composées pour la plupart par des jeunes gens : celles de Schiller étaient signées de diverses initiales ; elles sont aujourd’hui extrêmement rares, et nous ne les