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mière condition du succès est de ne pas substituer des hallucinations au trésor caché dont on veut être l’inventeur.

Certes les livres qui sont le testament des croyances juives veulent être médités par ceux qui prétendent jeter sur l’histoire du genre humain un coup d’œil profond. Ils exposent un grand nombre de faits religieux et moraux ; leur simplicité élémentaire et substantielle les rend un des documens les plus précieux de l’histoire humaine. Il y a donc pour le philosophe et le moraliste une ample moisson à recueillir dans les chroniques hébraïques. Moïse, avec son initiation égyptienne et sa nature juive, avec la double force d’un génie contemplatif et d’un esprit pratique, s’offre comme un enseignement inépuisable. Mais, si on veut la bien étudier, il ne faut pas mutiler cette grande nature ; il ne faut faire de Moïse ni un prêtre de Memphis, ni un philosophe grec ; l’individualité infinie de ce législateur veut être saisie avec force et avec sincérité.

Il semblait que le christianisme offrait, avec les opinions de M. Leroux, des différences assez tranchées pour qu’on pût espérer qu’il n’y chercherait pas l’expression anticipée de ses doctrines. Quelle apparence en effet qu’on veuille trouver dans les croyances chrétiennes la justification d’un système qui enferme dans ce monde la destinée possible de l’homme ! Quelle promesse plus explicite et plus solennelle que celle faite par le Christ à ceux qui auraient foi en lui, d’une autre vie dans le royaume des cieux ! C’est cette magnifique promesse, ce sont les divines espérances qu’elle éveilla qui gagnèrent tant d’ames à la doctrine prêchée par Jésus. On était las de la terre ; la plénitude des voluptés terrestres n’avait laissé dans les cœurs qu’un vide infini. Les Romains, ces maîtres des autres hommes, s’étaient mis à prendre en dégoût ce monde même qu’ils avaient conquis et dont ils jouissaient brutalement. Le christianisme vint à propos jeter l’anathème sur ce monde ; les hommes en étaient rassasiés : ils se précipitèrent avidement dans l’espoir de quelque chose d’inconnu ; ils s’immolèrent eux-mêmes avec joie à l’idéal qu’on leur présentait, et ils étaient pressés de mourir pour aller mieux vivre ailleurs. Croit-on que, si les Romains n’eussent reconnu dans les prédications du Christ et du grand apôtre que ce qu’ils avaient lu dans le sixième livre de Virgile, ils auraient détrôné leurs dieux pour arborer la croix ? Ils regorgeaient d’idées philosophiques, Sénèque les en avait abreuvés. Le précepteur de Néron leur avait dévoilé les profondeurs de l’ame humaine, ses corruptions comme ses grandeurs ; le stoïcisme leur avait tout enseigné, mais ne leur avait rien promis, et la majo-