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DE L’HUMANITÉ.

l’esprit des chrétiens, satisfera-t-il les philosophes ? En deux mots, voici son système, et nous transcrivons ses propres expressions :

« Il y a deux mondes, le monde de l’être, et le monde des manifestations.

« À l’essence de la vie répond donc un ordre, et à la manifestation de la vie un autre ordre.

« La vie est toujours présente. Donc ce présent embrasse le temps dans son immensité, dans son infinité. Vous êtes éternel, puisque vous vivez. »

Telle est la conviction que M. Leroux veut donner à l’homme, c’est qu’il est éternel. Et quel est l’argument décisif ? Le voici : « En vous démontrant qu’à un instant donné, dit M. Leroux en s’adressant à l’homme, vous êtes en communion nécessaire avec l’humanité, je vous montre que vous le serez toujours, puisque vous ne l’êtes réellement à un instant donné que parce que virtuellement vous l’êtes toujours, en un mot que vous l’êtes par essence. » Ce qui revient à dire : l’homme sur cette terre n’a qu’une existence courte et souvent misérable ; il y vient sans aucun souvenir d’y avoir déjà vécu ; il y meurt sans avoir jamais la pensée qu’il puisse y revenir. Eh bien ! c’est précisément de ces faits qu’il faut conclure que l’homme, est éternel comme homme, qu’il a vécu sur cette terre avant d’y paraître, et qu’il y reviendra après en être sorti. — Si tel est le dogme de la religion qu’élabore M. Leroux, nous déclarons ce dogme nouveau plus obscur, plus incompréhensible, que toutes les révélations contre lesquelles a protesté le bon sens humain. ; ce sera le cas plus que jamais de s’écrier : Credo quia absurdum !

Mais quel intérêt si grand pousse M. Leroux à tant insister sur l’éternité humaine de l’homme ? C’est qu’il est persuadé que, si l’homme n’est pas convaincu de cette éternité, il ne sera ni moral ni sociable ; l’homme doit s’identifier avec l’humanité, pour avoir le désir de lui être utile, et pour vouloir concourir au bien général dont il reviendra plus tard prendre sa part lui-même. Voilà la sanction religieuse imaginée par M. Leroux. C’est de l’égoïsme, c’est une prime offerte à travers les siècles à l’intérêt bien entendu ; mais nous craignons fort que l’égoïsme ne se paie pas de telles chimères, et qu’il ne préfère prélever sur-le-champ ses satisfactions et ses jouissances.

Il est bizarre que l’auteur de l’Humanité, qui parle tant de l’infini, en ait si fort matérialisé le sentiment. Spinosa, dit M. Leroux, appelle