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Elle avait sur la tête une petite perruque frisée ; elle portait une tunique bleu céleste rehaussée d’or ; elle avait à ses pieds des sandales ; ses deux petits bras enfantins, tout raccornis comme le reste, lui servaient de balancier, et dans cette position difficile, elle s’agitait, elle se démenait, que c’était une véritable pitié. La pauvre malheureuse créature humaine ! comme s’il n’eût pas mieux valu pour elle se suspendre à cette corde par le cou, plutôt que d’en faire l’imbécile champ de bataille de sa décrépitude bondissante ! Surtout de ses beaux jours de gloire et de renommée, elle avait précieusement gardé un certain geste qui devait la faire singulièrement applaudir, il y a de cela une quarantaine d’années. Ce geste ne consistait à rien moins qu’à relever sa tunique et à montrer tout à l’aise une pauvre cuisse vieillotte et rembourrée qui avait vu des temps meilleurs. Mme Saqui courait ainsi de ville en ville, si l’on peut appeler cela courir. Elle venait exercer une dernière fois sa légèreté et son courage dans cette arène où les lions les plus affamés du cirque auraient dédaigné de donner un coup de dent à cette cuisse dont elle était si fière encore. Encore une fois, quel spectacle lamentable ? et se peut-il que les arènes de Nîmes en soient venues là !

C’était à en pleurer des larmes de sang ou bien à en rire à gorge déployée. J’ai pris le dernier parti, et j’ai quitté la place ne sachant à qui donner la palme, aux Romains qui avaient construit ces galeries sans fin pour s’y divertir une fois ou deux chaque année, ou bien à nous autres, qui, pour nous amuser, impitoyables que nous sommes, faisons sauter et grimacer sur une corde cette épouvantable ruine d’une femme. Et nous appelons les Romains des barbares parce qu’ils applaudissaient des athlètes de vingt ans, des étrangers, des ennemis, qui se battaient à outrance dans ce magnifique champ clos entourés de l’enthousiasme universel, pendant que nous autres, sans respect pour le plus beau monument de ce pays, nous allons nous divertir des derniers et douloureux bondissemens d’une malheureuse petite vieille dont nous pourrions être, mais à Dieu ne plaise ! les arrière-petits-enfants.

Non pas que tout en donnant au passé sa part d’éloges je veuille être ingrat pour le présent. Au contraire, j’avouerai volontiers que toute cette pompe extérieure des œuvres antiques peut être égalée par l’utilité des ouvrages modernes. Il y a à Nîmes même un travail achevé d’hier, et dont les Romains eux-mêmes seraient bien fiers. Ceci est, pour ainsi dire, le travail d’un seul homme nommé Paulin Talabot. Figurez-vous un esprit fort, une volonté ferme, une audace