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LE VOYAGE D’UN HOMME HEUREUX.

prendre si vite. Dans le souvenir de ces tableaux de Lucques, on retrouve au premier rang un tableau important du Pérugin, le prédécesseur et le maître de Raphaël ; un Gherardo delle Notti, le plus bel ouvrage de Gherardo ; le peintre illustre l’avait fait pour le prince Giustiniani, qui fut aussi le protecteur des trois Carrache. Nous autres Français, parmi les maîtres de l’école italienne, tout resplendissans de santé et de lumière, à côté de l’embrasement poétique de Gherardo, nous étions fiers de saluer le Massacre des Innocens par Nicolas Poussin. C’était là une des perles les plus admirées de la galerie de Lucien Bonaparte, quand le neveu promettait de marcher sur les traces de son oncle le cardinal Fesch ; mais le neveu s’est un peu arrêté en chemin, comme un homme sage qu’il était, pendant que l’oncle a marché jusqu’à la fin de sa passion, comme un homme riche qu’il était. Plusieurs tableaux du Dominiquin, de Frédéric Baroccio, de Simone da Pesaro, la Samaritaine du Guerchin, de sa plus belle manière ; un enfant Jésus de Luini, dont les œuvres sont rares ; un Fra-Bartolomeo, remarqué même à Lucques, où le grand peintre a laissé tant de marques de son passage ; une Naissance du Christ dans l’étable, par Mazzolino de Ferrare ; un Hercule, par Alexandre Allori, le digne frère du peintre de la terrible Judith du palais Pitti (je vois encore sa robe jaune et ses terribles yeux noirs) ; une sainte Famille de Rubens ; un saint François de Cigoli, signé par l’auteur ; Hylas enlevé par les Nymphes, charmante composition de Furini, et d’autres tableaux vénitiens, hollandais, allemands, de toutes les époques des beaux arts, composent le fonds principal de cette galerie. Avec un peu de soin et de travail, vous pourriez suivre la filiation de ces belles toiles ; chacune d’elles a son histoire authentique, sa filiation reconnue. Les unes ont été commandées aux peintres eux-mêmes par des personnages historiques ; le contrat de vente et d’achat a été conservé. Les autres arrivent en droite ligne de Rome, de Sienne, de Livourne, de Bologne, d’Espagne, de Gênes, de Flandre. La galerie de Giustiniani, la galerie du marquis Boccella, du comte Ghivizanni, en ont fourni plusieurs ; la galerie Citadella, la galerie Esterhazy, la galerie Sardi, la galerie Joseph Bonaparte quelques-uns, et aussi la galerie Buovisi, un Lucquois de la vieille roche, sans oublier la galerie du prince Borghèse, dont le nom se retrouve dans tous les musées de l’Europe. Les églises et les couvens de l’Italie ont aussi cédé quelques-uns de leurs tableaux à la galerie de Lucques. Par exemple le couvent des nonnes de San-Giovanetto, l’église de San-Fridiano, qui ne sont plus que des ruines, protégent de leur souve-