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leur secours, ni la nature de l’être dans le système de Platon, ni la théorie même des idées, ne peuvent être parfaitement comprises. Les alexandrins disaient que, si l’on sauvait le Timée et le Parménide, on pouvait, après cela, perdre Platon tout entier. Je suis tenté de compter aussi le Timée au nombre des dialogues que M. Cousin nous a donnés le premier. La traduction de Loys Leroy, inachevée et remplie de contresens, ne pouvait être d’aucun secours pour l’intelligence du texte. Et quel livre que le Timée ! c’est d’abord une cosmogonie ; Dieu agitant, par sa toute-puissance, la masse désordonnée au chaos, faisant prendre forme à la matière, la soumettant à des lois sages et régulières, et peuplant la voûte du ciel de ces brillantes divinités qui mesurent les temps, et nous dispensent la chaleur et la lumière. Puis, quand le monde plein d’harmonie a commencé à obéir à la main de Dieu, à vivre et à se mouvoir selon ses lois, Dieu donne ses ordres immortels, fixe la destinée des hommes, et rentre dans son repos accoutumé. Alors Platon entreprend la description de l’homme et du monde ; il décrit l’homme moral, comme dans le Phèdre, comme dans la République, d’après ses théories philosophiques, et d’après les connaissances adoptées de son temps, le corps de l’homme et ses fonctions animales, les plantes et leurs propriétés, la composition et la décomposition des corps physiques, l’ordre et la marche des planètes, ou ce qu’il appelle, dans son langage poétique, les chœurs de danse des dieux immortels. C’est une vaste encyclopédie des connaissances humaines au temps de Platon ; c’est, dans un même livre l’histoire et la description de l’univers ; le Timée est peut-être, avec la République, l’ouvrage le plus accompli de Platon. L’antiquité ne nous a rien laissé de plus grand.

Maintenant que, grace à M. Cousin, nous avons dans notre langue non-seulement les dialogues, mais le testament, les épigrammes, tout ce que Platon a jamais écrit, on peut embrasser son œuvre tout entière et en saisir l’unité, cette unité qui en fait la vie, et sans laquelle on ne saurait voir dans les dialogues que des vues philosophiques privées de lien et de centre commun, un scepticisme plutôt qu’un système de croyances, une œuvre toute négative. La forme du dialogue adoptée par Platon, le caractère de cette méthode dialectique, qui ne marche à la découverte et à l’établissement d’une vérité que par la destruction de l’erreur, ce mépris et ce dédain des phénomènes et de tout ce qui est contingent, mépris qu’au premier abord on est tenté de prendre pour un dédain absolu de toutes choses ; la variété même des sujets traités dans les divers dialogues :