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ŒUVRES COMPLÈTES DE PLATON.

tout cela peut arrêter les esprits et les empêcher d’aller jusqu’au fond de la doctrine platonicienne. Combien n’ont vu dans Platon qu’un sceptique aimable, ayant trop de bon sens pour s’abandonner dans la pratique à un scepticisme absolu, mais indifférent sur tous les systèmes philosophiques et ne les exposant que pour les combattre ou pour les détruire l’un par l’autre ! Platon, compris de la sorte, n’est plus qu’un poète et un écrivain, et, j’ose le dire, il n’est plus alors le poète et l’écrivain que nous connaissons. Non, Platon n’est pas un de ces demi-sceptiques comme il en sortit plus tard de son école, doutant un peu de tout et ne réservant que la pratique avec la prudente et unique maxime de ces philosophies sans caractère, rien de trop. Platon est un homme de convictions profondes, ardentes, inébranlables, dont l’ame, élevée au-dessus de la terre, contemple sans cesse et sans relâche l’objet de son amour et de sa foi. C’est là qu’il puise de la force pour se donner le triste spectacle des contradictions humaines, pour amonceler autour de lui toutes ces ruines. C’est parce qu’il croit, et qu’il croit du fond du cœur, qu’il trouve tant d’ironie quand il se détourne de l’objet de sa croyance et jette les yeux sur ces ténèbres que tant d’hommes appellent lumière. Le monde des phénomènes, avec ses changemens sans fin, cette variété, cette multiplicité au milieu de laquelle on ne peut le saisir ni l’apercevoir, ces choses qui passent comme un torrent et ne reviennent plus, aliment des esprits vulgaires à qui cette nourriture convient parce qu’elle leur est analogue et qu’ils passeront comme elle sans laisser de trace ; qu’est-ce que tout cela aux yeux de Platon, dont l’esprit sent son immortalité et veut se nourrir de science et de vérité sans mélange ? La science de ce qui passe périt avec son objet. La science dont le besoin presse les ames philosophiques, c’est la science de ce qui est éternel, la science véritable. Quand Platon repousse du pied cette terre, ce n’est pas pour se jeter dans le néant, dont il a horreur ; c’est pour s’élever sur les ailes de l’amour à la connaissance du vrai. À l’aspect de ces vaines ombres, l’esprit, par une lumière intérieure que Platon appelle un souvenir, retrouve au fond de soi la conception du modèle dont elles sont l’image affaiblie. Cette réminiscence d’une autre vie, où la vérité nous apparaissait sans voile, le monde sensible l’éveille au dedans de nous, et désormais nous devons oublier le monde des sens et le laisser à son néant pour ne plus songer qu’à cet autre monde supérieur aux sens et au mouvement, monde des idées, toujours le même, toujours