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demi. Qui ne connaît pas tout Platon ne connaît rien de Platon. Essayez de comprendre le but et le plan de la République, si vous n’avez pas compris le système du monde et la théorie des idées. Ceux qui nous ont donné quelques dialogues nous ont rendu le même service que s’ils avaient traduit un beau poème ; ou bien ils ont été utiles aux savans parce qu’une bonne traduction est en quelque sorte une édition, et même un commentaire du livre traduit : le traducteur, en effet, ne prend-il pas un parti définitif sur toutes les difficultés de leçons et d’interprétation ? Mais populariser la philosophie de Platon, la faire comprendre dans son sens véritable et profond, il n’y avait qu’une traduction complète qui pût le faire.

Que de richesses Platon a répandues sur ce fonds général de sa philosophie ! Je ne parle pas de son style, si souvent imité par les plus grands poètes. Mais la théorie de la réminiscence, celle de l’amour platonique, qui n’en peut pas être séparée, tout ce côté psychologique du système des idées a autant de profondeur que d’éclat. C’est peut-être la réminiscence de Platon qui a inspiré le poète de Rachel et celui de Marguerite. Et, au point de vue le plus grave de la science, n’est-ce rien que d’avoir placé dans l’esprit de l’homme une lumière qui éclaire les données de l’expérience au lieu d’en provenir ? N’est-ce rien que d’avoir attribué la connaissance des principes plutôt au souvenir à demi effacé d’une autre vie qu’à quelque opération de l’esprit humain lui-même, n’ayant d’autre élément que la sensation, et tirant ainsi la loi du phénomène, l’éternel et l’immuable, de ce qui est emporté dans un mouvement sans repos ? Cette lumière intérieure qui illumine chaque homme est en effet la trace, dans notre esprit, de quelque chose de supérieur à l’homme et à la vie de ce monde. Quand Fénelon s’écrie : « Ô raison ! n’es-tu pas celui que je cherche ? » ces deux beaux génies semblent se répondre à travers les siècles. Mais il ne faut pas oublier l’époque où vivait Platon ; il faut être juste pour toutes les gloires.

À la réminiscence se rattache, par un lien étroit, cette théorie célèbre et si peu connue de l’amour platonique. L’objet de cette théorie explique assez l’existence de tant d’erreurs : elles ne sont pas seulement le fait du vulgaire, étranger à la philosophie et à Platon ; mais des savans, qui connaissaient le Phèdre et le Banquet, ont expliqué l’amour platonique d’après leur point de vue particulier, tantôt hostile, tantôt favorable. L’école mystique, sortie de l’académie, et plus tard, au sein du christianisme, quelques platoniciens également mystiques, ont voulu voir dans cet amour un état de l’ame assez