Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/819

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
815
ŒUVRES COMPLÈTES DE PLATON.

semblable à l’extase. L’amour du bien et du beau dans leur essence n’étant autre chose que l’amour de Dieu, et Platon ayant déclaré, dans le Phèdre, que les ames sans amour ne trouvent pas d’ailes pour s’élever au-dessus du monde des sens, ils ont pensé que, d’après Platon, la connaissance de Dieu n’était due qu’à cet élan passionné de l’ame, et que la raison pouvait nous mettre sur la voie qui conduit à Dieu sans jamais nous élever jusqu’à lui. Rien n’est plus éloigné de la vérité que cette interprétation ; il y a loin de cette chaleur poétique, de cet enthousiasme vrai de Platon, toujours guidé d’ailleurs par une raison sûre, se possédant toujours et ne perdant jamais de vue ni son but ni sa méthode ; il y a loin de cette philosophie véritablement grecque et socratique à l’illuminisme alexandrin. C’est l’amour qui nous excite à chercher Dieu et les idées par le moyen de la dialectique ; mais, quand nous arrivons à lui, c’est la dialectique qui l’a découvert et l’esprit qui le connaît. D’autres, mais ce sont des poètes, ont identifié l’amour platonique avec ce noble amour d’une femme, qui faisait au moyen-âge le fonds de la chevalerie ; ils ont pensé que cet amour était le modèle de l’amour de Dante pour Béatrix et de Pétrarque pour Laure ; quelquefois même on a poussé le raffinement plus loin, et l’on peut se souvenir d’avoir vu le mot d’amour platonique appliqué, dans plus d’un livre du temps des Scudéry, à cette adoration bizarre que Dunois éprouve pour la Pucelle, dans le poème infortuné de Chapelain. Il est trop facile de réfuter de pareilles erreurs, puisque Platon a traité les femmes avec une sévérité qui approche du mépris, et qu’il déclare expressément que, tandis que les ames inférieures s’attachent aux femmes, les esprits élevés prennent pour objet de leur amour « de beaux jeunes gens, bien plus capables qu’elles de comprendre la philosophie. » Reste cette accusation odieuse dont on a voulu flétrir la mémoire de Socrate, et que les mœurs trop bien connues de la Grèce semblent autoriser jusqu’à un certain point. On connaît ces vers de Boileau, dans sa douzième satire :

Et Socrate, l’honneur de la profane Grèce,
Qu’était-il en effet, de près examiné,
Qu’un mortel par lui-même au seul mal entraîné,
Et, malgré la vertu dont il faisait parade,
Très équivoque ami du jeune Alcibiade ?

Il y a peut-être de l’exagération dans l’opinion qu’on s’est formée sur la dépravation des Grecs. Les infamies du Satyricon pourraient