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je le crois bien. Ayant ôté de son gouvernement les familles particulières, et ne sachant plus que faire des femmes, il se vit forcé de les faire hommes. »

Mais la République de Platon n’est pas un ouvrage de politique ; si l’on cherche la politique de Platon, elle est dans les Lois. Je ne dirai pas non plus, comme J.-J. Rousseau, que la République est le plus beau traité d’éducation qu’on ait jamais fait, quoique je reconnaisse que les principes les plus vrais, les plus élevés de l’éducation s’y trouvent exposés pour la première fois. Jean-Jacques le savait bien, lui qui, à l’exemple de Locke, en a si souvent fait son profit. Parmi tant d’opinions élevées sur le but de la République, je suis de celle de Platon, qui déclare expressément que son but est de déterminer la nature de la justice. Il la détermine en montrant ses effets dans une application impossible, mais parfaite. La République n’est donc pas une utopie ; elle est une démonstration. Mais cette justice décrite dans la République, est-ce la justice de l’état ou celle de l’individu ? C’est là une question qui eût indigné Platon. Il n’y a qu’une justice, la justice de Dieu, qui gouverne tout. C’est la loi éternelle de l’ordre et de l’harmonie ; tout est soumis à cette loi, depuis les dieux jusqu’à l’homme, et depuis l’homme jusqu’au dernier atome de la matière.

Ce n’est donc pas dans la République qu’il faut chercher Platon législateur et moraliste, mais dans les Lois, où l’on trouvera ample matière pour admirer sa sagacité et sa profondeur. Quoi qu’on fasse, on est toujours, par quelque côté, de son temps et de son pays ; que l’on se demande, en lisant les lois de Platon, ce qu’un pareil génie eût pu faire deux mille ans plus tard ! Fonder la prospérité de l’état sur les mœurs et les mœurs sur l’éducation, préférer en tout la législation qui prévient à celle qui réprime ; établir l’égalité des charges, l’élection, la responsabilité de tous les magistrats ; prescrire pour toutes les lois un exposé des motifs qui en explique et en justifie la promulgation ; donner aux citoyens pour garantie de leurs droits le jury, la publicité des jugemens, et trois degrés de juridiction ; considérer la peine comme un bienfait pour celui qu’elle atteint, parce qu’elle le réhabilite par l’expiation, est-ce là, de bonne foi, ce qu’on appelle des chimères ? La prison, non pas celle du supplice, où il relègue les incurables, mais celle dont on doit sortir pour rentrer dans la société, n’est pas, comme chez nous, un enseignement mutuel de tous les vices, où l’on entre coupable et repentant, et d’où l’on sort aguerri et corrompu à jamais. Platon, pour bien marquer son but,