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lité ; cela même a l’avantage de le tenir en haleine et d’entretenir l’esprit militaire et l’esprit national. Ce voisinage ne devient un mal que lorsque ce peuple s’affaiblit et se corrompt ; car, quand on n’est plus de force à battre l’ennemi, ce qu’il y a de mieux évidemment, c’est d’en être loin.

Ce que je dis de Paris, je pourrais le dire de Londres, de Vienne et de Saint-Pétersbourg : la nature n’y avait pas désigné d’avance la place d’une grande capitale ; l’homme pouvait les mettre là ou là ; la capitale de l’Autriche pouvait être à Linz ou à Presbourg, plus haut ou plus bas sur le Danube. La capitale de l’Angleterre pouvait être à Plymouth au lieu d’être à Londres. Il n’y avait rien de nécessaire en tout cela. Mais ces capitales étant où elles sont, cela a eu pour l’Autriche, pour l’Angleterre et pour la Russie, des conséquences importantes. Ainsi, la capitale de la Russie, transportée de Moscou à Saint-Pétersbourg, a fait de la Russie une puissance européenne, au lieu de la laisser ce qu’elle était, une puissance moitié européenne, moitié asiatique ; et c’est grace à cette destinée européenne que lui a donnée le génie de Pierre-le-Grand, que la Russie aujourd’hui conquiert l’Orient et domine l’Europe. Le levier avec lequel elle soulève l’Asie n’est fort que parce qu’il prend son point d’appui en Europe.

L’histoire des villes qui dépendent seulement des hommes est donc curieuse à étudier ; mais la destinée des villes qui tiennent leur fortune de la nature même des lieux est plus curieuse encore à observer. Celles-là ont un caractère tout-à-fait à part dans le monde ; créées par la nature même, si j’ose ainsi le dire, elles appartiennent à la géographie physique plutôt qu’à l’histoire, car on les retrouve toujours à leur place, comme les détroits ou les isthmes sur lesquels elles sont ordinairement situées. Leur fortune ne suit pas les accidens des empires qui viennent s’y établir. Elles servent tour à tour de capitales à des peuples différens, et leurs conquérans barbares ou civilisés ne songent ni à les détruire ni à les abandonner ; ils sentent que ces villes sont un grand instrument de richesse ou de puissance, et ils en profitent. Ainsi, toujours sauvées de la destruction, elles semblent avoir une vie impérissable, quoiqu’elles n’aient pas de nationalité, quoiqu’elles n’aient pas d’histoire qui leur soit propre, et qu’elles paraissent faites pour servir d’auberges aux nations diverses qui viennent tour à tour s’y loger.

Ce qu’il faut remarquer, quand on étudie la destinée de ces villes, que j’appellerais volontiers des villes nécessaires et naturelles, ce qu’il faut remarquer, c’est qu’elles ne sont pas toutes nécessaires et prédes-