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REVUE. — CHRONIQUE.

donne jamais, car ils sentent que de cette habileté dépend le succès, plus encore peut-être que de l’inspiration. Que l’idée soit vieille ou neuve, peu importe ; avec eux, vous êtes sûr, quoi qu’il arrive, de passer en revue en quelques instans toutes les qualités du ténor ou du soprano. Lorsque Baroilhet a commencé sa cavatine, personne à Paris ne le connaissait ; à la dixième mesure de l’adagio, c’était un chanteur classé. Combien faudrait-il d’airs allemands ou français pour atteindre aux mêmes résultats ? Le finale de cet acte est la plus monotone psalmodie qui se puisse entendre. Figurez-vous la forme italienne la plus vulgaire gonflée de vent sonore : dans l’orchestre, des instrumens qui grondent ; sur la scène, des chanteurs qui vocifèrent à tue-tête ; un bruit habilement combiné, il est vrai, mais un bruit sans passion, à froid, et vous aurez une idée du chef-d’œuvre de M. Donizetti. Franchement, quelle musique originale voulez-vous qu’on trouve sur une situation semblable ? Toujours des malédictions, toujours des anathèmes ; mais cela a été répété cent fois au théâtre depuis la Vestale, de M. Spontini, jusqu’à la Juive, de M. Halévy. Pour relever une aussi banale donnée, il faudrait une puissance de génie, il faudrait surtout une force de volonté dont pas un maître de l’école italienne moderne n’est capable. En pareille circonstance, soyez sûr qu’ils abandonneront la partie aux chanteurs, à l’orchestre, à toutes les chances de succès qu’a toujours devant un public le fracas organisé. Ainsi a fait M. Donizetti, quitte à reprendre sa revanche dans l’acte suivant. Nous ne parlons ni des airs de danse ni du ballet. Jamais l’administration de l’Opéra ne s’était montrée si mesquine sur le chapitre des divertissemens ; et le musicien, à qui toute espèce d’initiative répugne, a suivi en tout point l’exemple de l’administration. — Le trio entre le roi, Léonor et Fernand, au troisième acte, passe, à bon droit, pour l’un des meilleurs morceaux de l’ouvrage. Il y a là un cantabile délicieux ; Donizetti excelle dans les cantabile, Baroilhet aussi ; ce qui fait que la sensation de plaisir est unanime. Baroilhet a dans les cordes basses de l’organe des inflexions un peu voilées d’un effet ravissant, et dont le maestro a tiré bon parti dans cette phrase si remarquable où le roi, décidé à faire épouser sa maîtresse par Fernand, engage Léonor à consentir : prière de souverain, dont le chanteur rend à merveille l’expression à la fois amoureuse, ironique et suppliante. La cavatine de Léonor, qui vient après, a tout-à-fait l’air d’une mauvaise plaisanterie. La maîtresse du roi nous apprend qu’elle se résigne à mourir plutôt que de porter sa honte au jeune héros qu’elle aime, et voilà que tout à coup, sur des paroles du genre de celles-ci :

La pâle fiancée
Sera morte ce soir,

elle se met à se répandre en toutes sortes de roulades de fantaisies capricieuses et de gentillesses vocales, qui passeraient peut-être encore, si la Grisi les chantait, mais qui, de la manière extravagante dont Mme Stoltz les débite, produisent l’effet le plus bizarre et le plus comique. Le chœur d’hommes qui occupe la scène