Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
REVUE DES DEUX MONDES.

Bonaparte ! Est-ce un homme celui-là ? Il se tenait immobile au pied de la colonne de Pompée, les bras croisés sur sa poitrine, désignant la ville d’un œil calme, tandis que notre division défilait avec des cris de fête. Il n’a pas besoin de parler, nous le comprenons, et lui nous comprend. Par quel charme inexplicable cet homme fait-il ainsi de nous et du monde ce qu’il veut ? La poésie de ce temps s’est concentrée tout entière dans son ame.

L’ordre de marche dit : Au Caire ; la flotte part pour Aboukir.

Pendant la marche.

Soleil ardent ! sable de feu ! désert infini ! Pas un nuage, pas un arbre, la soif, et point d’eau ! Nous tenons des balles de plomb dans la bouche. Desaix, le jeune, le bouillant héros, se montre infatigable, affable envers tous.

Le soleil se lève, les régimens s’arrêtent ; à ce cri qui remplit les airs : Les Pyramides ! un frisson de joie ébranle tout mon être. Rêves des jours anciens, que me voulez-vous ?

Du Caire.

La bataille des Pyramides ! Mourad-Bey, avec six mille mameloucks étincelans d’or et de pierreries, Mourad est battu. Des milliers d’hommes tués, massacrés, jetés au Nil ! Quel riche butin ! que d’or ! que d’armes splendides ! Sur le soir Dupuy, à la tête de quelques grenadiers, est entré au Caire tambour battant. L’effroi paralysait un demi-million d’habitans, qui se tenaient clos dans les demeures. Chacun de nous sent en soi quelque chose de l’esprit du général.

Tout cela m’apparaît comme un songe, un songe immense et fantastique !…

Combien de fois je me suis roulé à terre sur ce sable de feu qui, depuis tant de siècles, couvait le roman de ma destinée. Comme je reconnais ici toute chose ! comme je me retrouve dans mon élément au milieu des merveilles de ce monde nouveau ! — Des plaines infinies, çà et là quelques rares palmiers, puis des plaines encore à perte de vue ; et de quelque côté qu’on se tourne, pour horizon le ciel, un ciel brûlant, ardent, sans un nuage ; des rues étroites, des maisons basses à toits plats, de blanches mosquées avec leurs minarets aux sveltes colonnettes, des costumes bizarres, variés ; des visages barbus, hâlés par le soleil ; des crânes chauves que d’épais turbans enveloppent ; des voix perçantes et gutturales ; des dromadaires au long col, et sur les dromadaires des cavaliers chaussés de pantoufles ;