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aimons à suivre de la pensée la marche victorieuse de nos frères, que le César des temps nouveaux entraîne sur ses pas en Syrie. Le sac au dos, l’arme au bras, ils ont traversé le désert qui sépare l’Afrique de l’Asie, et les échos du Sinaï roulent encore les refrains de la Marseillaise. Ils ont réduit les places fortes de Gaza, de Jaffa, de Kaïffa, et saluent à coups de fusil les Anglais et les Turcs à Saint-Jean-d’Acre. Nous nous inscrivons au livre de l’histoire !

Ce n’était point assez des hommes pour nous vaincre ; les destins ennemis soulèvent contre nous la peste, le fanatisme, la ruse et la trahison. Bonaparte est de retour au Caire avec les nôtres.

Les Anglais et les Turcs s’étaient dit : Le lion est épuisé, puisqu’il se retire. Les uns et les autres viennent de payer cher leur illusion. Les Turcs avaient abordé près d’Aboukir ; c’était une multitude innombrable, vingt mamelucks fanatiques pour un Français. N’importe ! à coups de sabre et de baïonnette, le général Lannes et Murat, l’héroïque général de cavalerie, ont mis en pièces la formidable armée des mamelucks.

Voilà le niveau rétabli dans la balance. Desaix s’est écrié en recevant la nouvelle de cette journée : « Nous avons vaincu à mort. » Je crains bien que Desaix n’ait dit vrai.

Pendant la marche dans le désert.

Desaix nous envoie, sous les ordres du général Priant, à la poursuite de Mourad-Bey. Je sens en moi comme un pressentiment de mort.

S’il arrive qu’un Européen trouve ces tablettes, qu’il sache que je suis mort sans secours au milieu du désert, mort de la fièvre égyptienne. L’escadron de mes frères disparaît dans l’éloignement. Je succombe… le crayon s’échappe de mes doigts !

Dans une caverne.

Ils m’avaient laissé pour mort dans le désert. Des pâtres égyptiens m’ont recueilli ; je dois l’existence à leurs soins généreux. Depuis quelques jours j’ai repris mes sens. Qui me dira combien de temps s’est écoulé durant ma maladie ? Quelle saison règne ? Où notre armée est-elle ? Que s’est-il passé ?

Horreur ! D’abord Bonaparte est retourné en France, puis Kléber a été assassiné au Caire, puis enfin l’armée française a capitulé et abandonné l’Égypte. Voilà donc à quels résultats devaient aboutir tant de peine et de sueur, tant de sang versé à flots, tant de cadavres