Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
REVUE DES DEUX MONDES.

Il me semble que je deviens fou dans cette ville ténébreuse, au milieu de ce peuple de momies. Mon existence entière m’apparaît comme un lamentable conte fantastique.

Aujourd’hui le fellah me proposait de visiter le sépulcre de la Fleur Bleue. Oui, je resterai maître de ma raison, et cela quand la démence viendrait assaillir mon cerveau avec toutes ses baïonnettes.

Après avoir traversé une file innombrable de momies, à la lueur d’une torche, et tandis que les chauve-souris tourbillonnaient autour de nous par essaim ; après avoir erré dans toute sorte de labyrinthes inextricables où régnait une chaleur étouffante, nous atteignîmes un escalier tournant pratiqué dans l’intérieur du granit, et là nous descendîmes jusqu’à ce qu’à la fin nous nous trouvâmes dans une vaste salle souterraine. Mon guide m’entraîna derrière une colonne, dans une chambre plus étroite ; puis, le fellah ayant allumé un autre flambeau, l’appartement tout entier fut éclairé. Des milliers de figures peintes des couleurs les plus vives couraient sur les murailles, et tout au milieu, dans un ovale pur, se tenait debout la fille des Pharaons, une fleur bleue dans la main. Vainement je commandais à ma raison de dissiper l’illusion chimérique de mes sens, vainement je m’efforçais de démontrer le mensonge à mes yeux ; non, je ne pouvais m’empêcher de la reconnaître. C’était elle, c’était l’image ineffaçable de mon infortunée Vinetti que j’avais devant moi. Et comment aurais-je pu m’abuser ? À ces grands yeux noirs, à ces nobles tempes, à cette bouche superbe, à ces lèvres dédaigneuses, comment ne point la reconnaître, celle que j’avais pressée sur mon cœur ? Cependant je demeurais toujours debout et me raidissais à dessein contre l’impression étrange que produisait sur moi cette image, car je sentais déjà se troubler mes idées. J’étais là depuis long-temps, immobile et plongé dans ma contemplation, lorsque le fellah me saisit par le bras et me fit remarquer le cercueil d’albâtre sculpté au-dessous de cette image. Il leva le couvercle. Je poussai un cri et tombai sans connaissance. C’était le cadavre d’une fille de Pharaon, de ma Fleur Bleue !

Je ne veux plus la voir. Les esprits malins éblouissent souvent le cœur de l’homme pour le perdre. Ils veulent m’enlever ma raison. Suis-je donc insensé, pour confondre ainsi les temps antiques avec les jours présens ? Le fellah s’est aperçu de l’indicible impression que la vue de cette momie a faite sur moi ; et comme il me demandait toujours ce qui m’avait si vivement frappé en elle, j’ai dû lui répondre que c’était une ressemblance inexplicable avec la jeune fille que j’aimais et qui est morte. Le vieillard a souri d’un air de mystère, et depuis il se tait. — Je ne veux plus la voir, je veux chasser de mon esprit