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Il ne faut pas hésiter à le reconnaître, en prenant par le traité du 15 juillet l’initiative de la rupture du grand accord d’Aix-la-Chapelle, l’Europe a replacé la France à l’état de nature vis-à-vis d’elle, et, depuis la signature de cette convention, la paix du monde reste sans base comme sans garantie. C’est là un grand malheur sans nul doute, mais c’est aussi un fait qu’il faut savoir accepter dans toutes ses conséquences. Il n’y a ni dithyrambe pacifique, ni théorie humanitaire qui tiennent contre le sentiment de l’abaissement descendu au cœur d’un grand peuple ; et le jour où la nation aurait la pleine conscience qu’elle est tombée au rang des puissances du second ordre, ce jour-là la paix publique traverserait la plus terrible des épreuves, car l’on pourrait craindre de voir la France immoler son gouvernement en holocauste à sa vieille gloire. Le génie des peuples est indestructible comme leur histoire, et tout cabinet qui mettrait contre lui ces forces vives ne serait pas seulement le plus impopulaire des pouvoirs, il en serait encore le plus dangereux.

Or, c’est aux hommes plus spécialement préoccupés des intérêts de conservation et d’ordre intérieur qu’il appartient de le comprendre et de le confesser, la France s’inquiète pour sa juste part d’influence sur les destinées du monde. Elle se dit que depuis un siècle les dépouilles de tous les états faibles en Pologne, en Allemagne et en Italie, sont passées, par la conquête ou la spoliation, aux mains de quatre grandes puissances, et qu’elle n’a plus ses frontières de Louis XIV. N’est-il pas même trop évident qu’au point de vue de son système fédératif et de sa force relative, elle est descendue fort au-dessous de la France de Louis XV ? Après la paix honteuse de 1763, après l’inexpiable faiblesse de 1772, la France possédait encore de magnifiques colonies qu’elle a perdues ; son alliance intime avec l’Espagne, alors grande puissance maritime, lui permettait de résister à l’Angleterre et de la vaincre ; dans le Nord, elle contenait la Russie par la Suède et l’empire ottoman ; en Allemagne, elle paralysait, l’une par l’autre, la Prusse et l’Autriche, en état constant d’hostilité, et dominait sans résistance les petits états de l’empire attenant à ses frontières. Aujourd’hui la Russie est au cœur même de l’Allemagne et tient une flotte toujours armée pour Constantinople ; l’Autriche et la Prusse s’entendent contre nous, l’une pour garder ses acquisitions italiennes, l’autre pour conserver un pied sur le territoire même de la vieille France ; de nos plus intimes alliées, la Suède ne pèse plus dans la balance continentale, et l’Espagne se débat dans l’anarchie en insultant notre nom. Pendant ce temps, la Russie et l’An-