Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
SITUATION POLITIQUE.

forces, ou qu’il pérît. Il était établi que toutes les espérances dont on avait flatté jusqu’ici ce vieil allié de la France étaient de vaines paroles et de tristes déceptions. Or, ce qui abaisse un pays, ce n’est pas de se tromper, c’est de faiblir ; ce n’est pas d’avoir trop bonne opinion de la puissance d’un allié, c’est de retirer à cet allié malheureux l’appui qu’on lui avait promis, même avant qu’il soit définitivement vaincu, même quand il est permis de croire encore que cet appui peut le sauver. Qu’on ne cherche donc pas à abuser la France par de pompeuses protestations. Quoi que l’on fasse et que l’on dise aujourd’hui, l’Europe sait qu’avant la prise de Saint-Jean-d’Acre la France avait abandonné son allié et cédé sur tous les points. Méhémet-Ali sait que désormais, dans aucun cas, il n’a plus rien à attendre de la France. La conséquence certaine, inévitable, c’est que l’Europe écoutera moins que jamais notre voix ; c’est que Méhémet-Ali, ainsi que l’Angleterre l’y convie chaque jour, cherchera ses garanties là où elles sont sûres et puissantes. Allié sur lequel on ne peut pas compter, ennemi avec lequel on n’a pas besoin de compter, voilà ce qu’aux yeux du monde est devenu notre pays ! Voilà le sort qu’on lui a fait, et dont on veut encore qu’il soit fier et reconnaissant !

Nous ne voulons point insister sur cette triste situation. Les ministres du 29 octobre, nous le croyons sincèrement, la jugent comme nous, et ce n’est pas sans un profond chagrin qu’ils voient la France privée de toute action et de toute influence. Quand ils ont pris le pouvoir, ils espéraient du moins que le sacrifice de M. Thiers suffirait à l’Europe, et qu’en échange de ce sacrifice la France, représentée par eux, obtiendrait quelque concession notable. Leur espérance a été cruellement déçue, et ils s’aperçoivent aujourd’hui que c’est par la fermeté, non par la faiblesse, qu’un peuple se fait écouter et respecter. Si, comme on a pu s’en flatter un moment, l’union des pouvoirs dans une détermination irrévocable eût convaincu l’Europe qu’entre la guerre et la déchéance dont le traité du 15 juillet l’a frappée, la France choisirait la guerre, nous ne doutons pas une minute que l’Europe n’eût accordé à la France ce qu’il fallait au moins pour mettre à couvert son honneur. Mais, comme M. Thiers l’a dit à la tribune, l’Europe a toujours douté de l’énergie de notre volonté, et nous venons de justifier sa prévoyance. Elle use donc de ses avantages, et nous traite comme nous semblons le mériter. Tout ce que, dans cette déplorable position, on peut demander au gouvernement, c’est, tout en préparant un meilleur avenir par des armemens formidables, de rester dans l’isolement et dans l’inaction. Il serait