Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
REVUE DES DEUX MONDES.

est venu précisément pour la rompre. Il se trouve donc condamné à gouverner à l’aide de la droite seule, de la droite tout entière, dans ses nuances les plus vives, les moins parlementaires. Se croit-il, dans cette situation, bien maître de sa politique, bien libre dans ses mouvemens ? Quand il s’agira de résister à l’anarchie, il sera fort sans doute, et le secours de sa majorité ne lui manquera pas. Mais s’il veut résister ailleurs, pourra-t-il compter encore sur cette majorité ? Pour être un ministère sérieux et puissant, il faut pourtant être en mesure de résister partout, en haut comme en bas.

Entre un ministère et ceux qui l’appuient, il s’opère d’ailleurs un échange inévitable de concessions réciproques. Quelles seront les concessions du ministère du 29 octobre au parti ultra-conservateur ? Ce parti, qui voulait la paix avant tout, s’est jusqu’ici montré peu exigeant sur tout le reste ; mais la paix assurée, on ne peut croire qu’il mette aux pieds du 29 octobre ses doctrines et ses prétentions. Il se souvient avec amertume, avec colère, que les membres les plus considérables du cabinet actuel ont fait partie de la coalition, et ce souvenir ne le dispose ni à l’indulgence ni à la modération. Cependant, nous le répétons, pour que le ministère vive dans les conditions où il s’est placé, il faut que le parti ultra-conservateur, dans toutes ses nuances, vote constamment pour lui. Encore une fois, que fera le ministère pour le parti ultra-conservateur dans toutes ses nuances ?

Nous croyons avoir suffisamment indiqué quelles sont les différences réelles qui, à l’extérieur aussi bien qu’à l’intérieur, distinguent le ministère du 29 octobre du ministère du 1er mars. À l’extérieur, le ministère du 1er mars désirait sincèrement la paix, mais il était résolu à courir les chances terribles de la guerre plutôt que de sacrifier, dans la question d’Orient, les intérêts, l’influence, la dignité de la France, en souffrant que le traité du 15 juillet fût exécuté jusqu’au bout. Le ministère du 29 octobre a pensé au contraire qu’après avoir épuisé en faveur du pacha d’Égypte et de la politique française tous les moyens purement comminatoires, il convenait de s’arrêter et de laisser régler la question d’Orient au gré de l’Angleterre plutôt que de renoncer à la paix. À l’intérieur, le ministère du 1er mars travaillait à accomplir le vœu des esprits éclairés, en séparant à droite comme à gauche les opinions modérées des opinions extrêmes, et en formant ainsi entre toutes les exagérations un vaste juste-milieu ; le ministère du 29 octobre est venu refouler de chaque côté les opinions modérées sur les opinions extrêmes, et détruire