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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

des fleurs qui montait jusqu’à moi, ma veillée n’était pas fort émouvante. J’étais là, non comme eût fait un poète cherchant l’inspiration, mais comme un oisif qui contemple et qui écoute. J’étais fort occupé, je m’en souviens, à recueillir les bruits de la nuit et à m’en rendre compte. Il est bien certain, et chacun le sait, que chaque pays a ses harmonies, ses plaintes, ses cris, ses chuchotemens mystérieux, et cette langue matérielle des choses n’est pas un des moindres signes caractéristiques dont le voyageur est frappé. Le clapotement mystérieux de l’eau sur les froides parois des marbres, le pas pesant et mesuré des sbires sur le quai, le cri aigu et presque enfantin des mulots qui se poursuivent et se querellent sur ces dalles limoneuses, enfin tous les bruits furtifs et singuliers qui troublent faiblement le morne silence des nuits de Venise, ne ressemblent en rien au bruit monotone de la mer, au qui vive ? des sentinelles et au chant mélancolique des serenos de Barcelone. Le lac Majeur a des harmonies différentes de celles du lac de Genève. Le perpétuel craquement des pommes de pin dans les forêts ne ressemble en rien non plus aux craquemens qui se font entendre sur les glaciers. À Majorque, le silence est plus profond que partout ailleurs. Les ânesses et les mules qui passent la nuit au pâturage l’interrompent parfois en secouant leurs clochettes, dont le son est moins grave et plus mélodique que celles des vaches suisses. Le boléro y résonne dans les lieux les plus déserts et dans les plus sombres nuits. Il n’est pas un paysan qui n’ait sa guitare et qui ne marche avec elle à toute heure. De ma terrasse, j’entendais aussi la mer, mais si lointaine et si faible, que la poésie étrangement fantastique et saisissante des Djins me revenait en mémoire.

J’écoute,
Tout fuit.
On doute,
La nuit,
Tout passe.
L’espace
Efface
Le bruit.

Dans la ferme voisine, j’entendais le vagissement d’un petit enfant, et j’entendais aussi la mère qui, pour l’endormir, lui chantait un joli air du pays, bien monotone, bien triste, bien arabe. Mais d’autres voix moins poétiques vinrent me rappeler la partie grotesque de Majorque. Les cochons s’éveillèrent et se plaignirent sur un mode que