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Byron était moins accessible ; on rôdait, en quelque sorte, autour de son œuvre de mystère, sans bien savoir ; des articles de M. Lebrun lui-même, dans la Renommée contribuèrent aux premières notions qu’on en eut. En 1820, Schiller n’était pas traduit[1] : Mme de Staël, dans son Allemagne, l’avait magnifiquement analysé ; mais, si je ne me trompe, la première connaissance plus détaillée qui en vint à M. Lebrun, fut du côté de M. de Barante, qui, à son tour, devait cette initiation à l’heureux hasard de Coppet. Et puisqu’ici ces deux noms amis se rencontrent, notons, en passant, que sous la restauration M. Lebrun a eu assez exactement en poésie un rôle qui ferait pendant à celui de M. de Barante dans le genre critique et historique, quelque chose d’assez analogue dans le degré d’innovation et de réussite.

Je n’aborde pas la Marie Stuart réelle, celle de l’histoire approfondie ; ç’a été l’autre jour, dans cette Revue même, la docte tâche et très éloquente de M. Philarète Chasles. Je me tiens à l’héroïne de la tradition et de l’illusion ; je me borne au point de vue français et de 1820 encore ; je me reporte à la première représentation, à l’une des cinquante premières. On raconte que, lorsque le bourreau décoiffa, pour la faire tomber, cette tête charmante, on découvrit que ses beaux cheveux avaient légèrement blanchi. Je ne sais si, dramatiquement parlant, quelques mèches grises aussi ne se sont pas glissées, depuis vingt ans, sur cette tête si applaudie. Le fait est que, lorsqu’elle se produisit d’abord, il n’y eut qu’une voix sur l’accueil soudain, sur l’intérêt excité et sur les larmes. J’ai sous les yeux la plupart des journaux du temps ; le Journal des Débats, le seul qui, dès ce temps-là, voulut être sévère, constate lui-même l’entier triomphe : « la joie est dans le camp des romantiques, s’écrie Étienne Becquet en commençant[2] ; le succès de M. Lebrun est un succès de parti, une victoire des lumières sur les préjugés. Un courrier extraordinaire, envoyé par M. Schlegel, est allé en porter la nouvelle à la diète assemblée… » Ceci, pour commencer, n’était pas tout-à-fait juste ; le succès de M. Lebrun, malgré l’origine de l’imitation, ne pouvait être dit un succès allemand, mais bien français. En même temps que l’auteur, par sa ma-

  1. Du moins tant soit peu complètement et convenablement. Le Théâtre traduit par La Martellière (1799) ne contenait que trois pièces, et Marie Stuart, qui se faisait seulement alors, n’y était pas. Quérard indique une traduction de cette dernière pièce par M. Hess (Genève, 1816). Celle du baron de Riedern, publiée par M. de Latouche, ne parut que dans le courant de l’année 1820. M. de Barante publia les Œuvres dramatiques de Schiller l’année suivante.
  2. 13 mars 1820.