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sa mère et à l’éducation de ses jeunes frères. Tandis qu’il travaillait gaiement, les larmes venaient aux yeux des maçons qui avaient connu son père l’architecte et servi sous lui comme des soldats ; aussi quelquefois, quand la chaleur était trop ardente ou la pluie trop forte, il trouvait sa pierre placée par eux à l’abri et transportée la nuit sous quelque hangar. Cependant Sédaine étudiait toujours ; à côté de sa longue scie, le tailleur de pierre posait Horace et Virgile, Molière, Montaigne, qui furent les adorations de toute sa vie ; et quand ses compagnons les maçons dormaient couchés sur la poitrine dans le gazon, il prenait ses chers livres et pensait à l’écart.

Voilà donc les deux sources de ses idées : la famille et l’atelier des maçons.

Les premières voix qu’il entend sont douces, dans les premières années heureuses : le vieux père, la mère, l’oncle, les anciens domestiques en cheveux blancs, pareils à cet Antoine du Philosophe, ayant comme lui peut-être une fille qui n’est placée ni si haut que la maîtresse de la maison ni si bas que la femme de chambre, ainsi que Victorine ; un salon, des parens sages et bons, quelques-uns magistrats : la bonne robe est sage comme la loi, il le dit avec le proverbe ; des tantes un peu entichées de la noblesse qu’elles avoisinent, des amis financiers, toute la bonne maison de bonne bourgeoisie de Paris chez l’architecte de la cité, domus. Porté, bercé d’abord par tous ces bras, endormi sur ces genoux, passé d’une épaule à l’autre, baisant ces grands fronts vénérables, poudrés et parfumés, assis sur les robes de damas à grandes fleurs, jouant avec les longues boucles de cheveux enrubanés, cet enfant n’entend alors que bons propos, que paroles d’attendrissement pour lui, de sagesse, de bonne grace envers tous. Il conçoit donc, de prime-abord, ce monde élégant, poli et posé, dans lequel plus tard il aimera à faire vivre les familles de son invention, ces familles honnêtes et charmantes où les imprudences sont enveloppées de tant de formes respectueuses, et où les caprices et les passions même se tiennent toujours à demi inclinées devant les devoirs. Les secondes paroles qui frappent cette jeune oreille sont celles de la poésie populaire et du peuple même. Les artisans, les ouvriers l’entourent, Colas et Nicolas travaillent à ses côtés pendant qu’il lit les dialogues des Jacqueline, des Pierrot et des Martine de Molière. Là, c’est la pauvreté joyeuse, le travail au sommeil tranquille, la vigoureuse santé, les chansons en plein air et à pleine voix, les soldats dont le mal du pays fait des déserteurs, des enfans déjà fiancés au berceau, dont les parens ne peuvent qu’à grand’peine re-