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DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

sait plus au théâtre, quand, cinq ans après, un autre directeur le vint tenter encore. Philidor interrompit une partie d’échecs pour faire la musique d’un nouvel opéra, et voilà Sédaine parti ; la passion du théâtre le saisit ; chaque année voit paraître et réussir deux pièces nouvelles, trois quelquefois, d’allure franche, naïve, décidée, d’imagination neuve chacune :

Comme une jeune fille au teint frais et vermeil,
..................
L’eau pure a ranimé son front, ses yeux brillans,
D’une étroite ceinture elle a pressé ses flancs,
Et des fleurs sur son sein, et des fleurs sur sa tête,
Et sa flûte à la main ......

Cette flûte qui chantait tantôt avec Grétry, tantôt avec Monsigny. Trente-quatre ouvrages se succèdent à peu de distance, et les moindres sont joués par toute l’Europe, dans les cours d’Autriche et de Russie ; c’était une mode, une vogue, une fureur ; c’était plus aussi, un mérite réel et durable les soutenait. J’ai hâte d’arriver à ses deux chefs-d’œuvre.

Je trouve avec satisfaction, dans une notice sur sa vie, écrite par la princesse de Salm, qu’il répétait souvent qu’il fallait passer au moins un an à faire le plan d’une grande pièce, mais qu’on pouvait n’être qu’un mois à l’écrire. Ce mot atteste un homme qui sentait la difficulté de ce talent de composer pour lequel il faut tant d’invention et de méditations sérieuses combinées, et tant de science de ces proportions dans lesquelles l’art de la scène doit enserrer, résumer, concentrer et faire mouvoir sans effort toutes les observations recueillies dans la mémoire du poète sur la vie, les mœurs et les caractères. Faute de comprendre cette partie de l’art, on l’a quelquefois traitée légèrement, comme on fait tout ce qu’on ignore ou ce qu’on ne peut atteindre. Cela s’est appelé, pour quelques personnes, charpenter, et ce travail leur a semblé chose grossière et facile. Mais l’architecte Sédaine pensait différemment, sans doute à cause de sa première profession, et savait que sans charpente il n’y a pas de maison, et que tout palais croulerait s’il n’en avait une largement jetée, appuyée sur des bases solides et habilement façonnées ; que Sophocle, Euripide, Plaute, Shakspeare, Corneille et Molière furent les plus habiles charpentiers du monde, et celui surtout qui disait, après avoir lentement dessiné la charpente de sa pièce et tourné autour de son plan,