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DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE.

neveux la verront après nous, et, je le répète, le nom de ceux qui persiflaient le poète et croyaient le perdre et l’abîmer, selon leur expression, est dans l’abîme depuis soixante-et-quinze ans. Il en sera toujours ainsi. J’aurais honte de vous rappeler qu’il y a peu de temps vous entendîtes aussi crier à l’apologie du suicide, si vous n’aviez fait justice vous-même de ces cris lorsqu’ils pénétrèrent dans l’enceinte de la chambre, chez vous, en plein sénat.

Tout cependant n’est pas inutile dans les œuvres d’art. Conduit par ce drame à réfléchir sur les pareils de Chatterton, M. de Maillé[1] en a conçu l’idée de fonder par testament un prix de chaque année, pour le début le plus brillant en poésie ; mais il n’a pu faire que l’œuvre d’un généreux citoyen à son lit de mort par cette dotation qui ne s’accorde qu’une fois. C’est à la nation d’achever en donnant ce que j’avais demandé par cette pièce, qui fut une pétition et un plaidoyer en faveur de ces travaux mal appréciés. C’est à vous qu’il appartient de faire ce que je vous demande encore par la voix des acteurs. Dites un mot de plus parmi tous ceux qui se disent inutilement, et croyez bien que la France ne vous en voudra pas d’ajouter cette loi aux autres par un seul article que je me figure conçu à peu près en ces termes ; car, que puis-je donner autre chose qu’une imparfaite ébauche ?

— « Tout poète qui aura produit une œuvre d’un mérite supérieur, dont la publication aura excité l’enthousiasme parmi les esprits d’élite, recevra de la nation une pension annuelle de quinze cents francs pendant trois ans. Si, après ce laps de temps, il produit un second ouvrage égal au premier, sinon en succès, du moins en mérite, la pension sera viagère. S’il n’a rien produit, elle sera supprimée. »

Il faudrait aussi déterminer quel jury distribuerait cette juste faveur, et je suis le premier à reconnaître que sa formation est d’une extrême difficulté. Mais enfin, par cette ombre de projet de loi que je vous supplie de pardonner au plus obscur des électeurs et à celui qui fait le moins d’usage de ses pouvoirs, je crois qu’on étoufferait entièrement toute plainte. Jusque-là, avouez-le, elles seront justes, car si je réduis les faits à leur plus simple expression, je trouve que la poésie est reconnue la plus mauvaise des industries et le plus beau des arts. Sur trente-quatre millions que nous sommes, trois mille dilettanti à peine l’aiment et l’achètent. Il a fallu la mort, et une mort tragique, et bien des efforts, pour faire connaître, après qua-

  1. M. le vicomte de Maillé, frère de M. le duc de Maillé.