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REVUE. — CHRONIQUE.

ter. Il a aussi quelques avantages. Le mal s’y propage tout aussi difficilement que le bien ; tout est local, même l’esprit d’insurrection et de révolte. Il y a eu vingt révolutions en Suisse depuis 1830 ; mais on ne peut pas dire que la Suisse ait été révolutionnée. Le directoire fédéral se trouve maintenant à Berne. Le président, M. Neuhaus, est un esprit aussi éclairé que résolu. Le canton de Berne est, par sa population et ses forces, le premier canton de la Suisse. Les aristocraties déchues choisiraient mal leur moment, si elles rêvaient aujourd’hui des contre-révolutions.

Ainsi qu’il était facile de le prévoir, la Syrie est en proie à l’anarchie. C’est là probablement tout ce que désirait le cabinet anglais : à coup sûr, lorsqu’il l’enlevait à Méhémet-Ali, il ne croyait pas que la Porte eût les moyens de rétablir dans ces provinces une autorité régulière. L’histoire prouve que c’est là la tactique anglaise en Orient : affaiblir d’abord le pouvoir indigène, profiter ensuite des troubles qui sont la conséquence nécessaire de cet affaiblissement, pour étendre d’abord l’influence, plus tard l’empire de l’Angleterre. Dans l’Inde, il est désormais évident qu’elle veut franchir l’Indus. En Chine, le même travail vient de commencer, et on peut être certain que l’Angleterre ne perdra plus de vue les produits du céleste empire et les 200 millions de consommateurs qu’elle peut y trouver. Jamais l’esprit d’envahissement et de conquête n’a été poussé plus loin ; jamais, nous le reconnaissons, il ne s’est développé avec plus d’habileté, de persévérance et de suite.

En présence de ces faits, on se demande quel sera le terme de ces immenses conquêtes ? L’Angleterre subira-t-elle un jour le sort de tous les conquérans dont l’ambition a été illimitée ? Ou bien trouvera-t-elle dans sa puissance maritime, commerciale et industrielle, et dans le génie cosmopolite de ses peuples, les moyens de conserver ses immenses possessions ?

Dans ce cas, les états européens verraient leur puissance relative s’affaiblir de jour en jour. L’Angleterre serait en réalité la maîtresse du commerce, de l’industrie, des marchés des deux hémisphères ; disons-le, la maîtresse du monde.

C’est là, si les puissances continentales ne s’aveuglent pas sur leurs vrais intérêts, la question qui deviendra bientôt pour tous une question, si ce n’est de vie ou de mort, du moins de grandeur et de progrès.

La pensée de faire de Jérusalem une ville libre, où tous les chrétiens trouveraient la même protection et jouiraient des mêmes droits, est désormais accueillie par des hommes considérables et influens. Nous sommes convaincus qu’elle ne tardera pas à pénétrer dans les conseils des puissances. Le sentiment religieux trouvera de nombreux auxiliaires dans tous les amis de la civilisation, quelle que soit d’ailleurs leur croyance. La création d’un état grec aux dépens de l’empire ottoman ne paraissait dans le principe qu’un rêve, une chimère. Il existe cependant, et son existence est assurée. La délivrance de Jérusalem est loin d’offrir les mêmes difficultés que celle d’Athènes. Si les puissances le voulaient, la Porte ne pourrait refuser cette concession à la