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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

Mais en vain annonça-t-il que l’heure de la vengeance était proche, que les vaisseaux de la France allaient arriver pour accomplir ses menaces ; en vain essaya-t-il de séparer la cause du gouverneur de celle de la nation, répétant que c’était le général Rosas seul et non le peuple argentin que nous poursuivions : on le traita comme un faux prophète, sa voix fut méprisée.

Quand l’amiral Leblanc vint mouiller dans la Plata, son pavillon flottait sur la frégate la Minerve. Il se rendit devant Buénos-Ayres avec notre agent sur la gabarre l’Expéditive, l’eau manquant aux frégates pour remonter la rivière. À sa venue, le gouvernement argentin, rejetant toute la faute du malentendu sur le caractère privé du jeune agent consulaire, engagea l’amiral à descendre à terre, l’assurant que tout s’arrangerait à l’amiable dès qu’un homme grave, un véritable mandataire politique, viendrait parler au nom de la France. Les journaux du pays, écho de leur gouvernement, répétèrent à l’envi cette assertion. Mais notre agent, qu’une circonstance fortuite portait dès le début de sa carrière, à la tête d’une affaire où il allait engager le grand nom de la France, enflait son langage, et criait qu’il y aurait déshonneur pour un officier général de la marine française à négocier et à traiter avec des hommes qu’une menace amènerait humiliés à ses pieds. Malheureusement le vieux marin se laissa entraîner aux conseils ardens du jeune consul. L’amiral resta sur ses vaisseaux, et ce fut de là que, le 28 mars 1838, fut déclaré le blocus des ports de la République Argentine.

On s’étonne, et c’est avec raison sans doute, que, dans une affaire dont les conséquences devaient être si graves pour son pays, l’amiral Leblanc, sur le point de jeter dans la balance l’autorité de sa parole et le poids de ses canons, se soit décidé sur la foi d’un jeune homme qu’il connaissait à peine ; qu’il ait refusé d’aller juger par lui-même des hommes, et des choses, alors que l’ennemi l’en suppliait et remettait pour ainsi dire à sa haute sagesse, dès qu’elle serait éclairée sur les lieux, le pouvoir d’imposer les conditions de la paix. Sans doute, il y allait de la réputation du vice-consul de représenter toutes ces protestations comme un leurre, comme une fourberie nouvelle où l’on voulait enlacer le chef-militaire : cet avis prévalut dans nos conseils. Maintenant les évènemens vont se dérouler.

Qu’il nous soit permis de placer ici quelques réflexions préliminaires ; elles sont indispensables pour donner une pleine intelligence du blocus et montrer de quelle manière il fut conduit.

Le Rio de la Plata, ou Rivière d’Argent, est le déversoir commun des eaux qui descendent du versant oriental de la Cordillière des Andes, des montagnes du Brésil et de la chaîne transversale qui réunit ces hautes terres en marquant de ses crêtes la frontière du Pérou. Ce vaste bassin commence au point de jonction de l’Uruguay et du Parana, fleuves immenses dont l’un est navigable à deux cents lieues et l’autre à six cents lieues de son confluent. C’est dans les plaines sans bornes sillonnées par ces magnifiques cours d’eau et leurs affluens que sont éparses les diverses provinces dont se compose la République Argentine. Les marins considèrent le Rio de la Plata comme