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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

chances d’un accommodement amiable semblaient diminuer. L’amiral revint avec la frégate la Minerve à Montevideo ; il y trouva l’agent consulaire piqué de l’insuccès des premières mesures. Leur mauvaise humeur s’irrita encore des dispositions malveillantes du gouvernement d’Oribe et des sanglantes railleries dont ils furent l’objet. Un Américain, nommé Brown, commandait une flottille argentine dans le port même de Montevideo ; il tremblait qu’il ne passât par la tête d’un de nos officiers d’aller le brûler lui et ses goëlettes dans le port même, et, pour cacher sa peur, il proclamait hautement qu’il forcerait le blocus de nos navires et qu’il capturerait à leur barbe nos bâtimens de commerce. Dans ce pays de vanteries et de fanfaronnades, il y avait dans les cafés et à la bourse des défis continuels, et tous ces bavardages que nos gouvernemens d’Europe méprisent, répétés au consulat, remuaient les fibres de nos agens et souvent déterminaient leur conduite. L’amiral bloqua Brown et sa flottille dans Montevideo. Nous ne nous contentâmes plus de faire des vœux secrets pour la chute d’Oribe et le triomphe de son rival ; il fut patent que nous nous disposions à hâter ce résultat. Ainsi l’on semblait délaisser dans un accès de passion le système si sage qui considérait la France comme trop haut placée parmi les nations pour se mêler aux querelles des partis.

Alors arrivèrent de France des lettres qui annonçaient que le gouvernement approuvait pleinement la conduite de l’agent consulaire, et qu’il insistait sur les réparations à exiger du général Rosas. Il n’en fallut pas davantage pour enflammer d’une ardeur belliqueuse des esprits peu endurans et qui supportaient mal l’ironie qui les poursuivait. Les proscrits argentins attisèrent le feu : quel coup de politique s’ils eussent pu associer dès-lors la France à leur implacable haine contre leur persécuteur ! Les femmes y joignirent leurs séductions irrésistibles. Une humeur guerrière se manifesta sur nos navires ; qu’allait-il se passer ? On l’ignorait encore, mais on pouvait pressentir un combat ou quelque tentative à main armée.

§ III. — ULTIMATUM DE LA FRANCE. — PRISE DE L’ÎLE DE MARTIN-GARCIA.

La cause du président Oribe était perdue : il n’avait plus pour lui que Paysandou, où commandait le général Lavalleja, ancien ami de Rosas, et Montevideo, où il résidait en personne. Il put voir à la réunion des chambres que sa puissance expirait : à peine compta-t-il trois voix en sa faveur. Nous avions cessé de rester neutres ; car, tandis que Rivera était aux portes de Montevideo ; et que nous nous prétendions en pleine paix avec la République Orientale, nous tenions bloquée la flottille de Brown, et souvent, pendant la nuit, nos embarcations, chargées d’aller correspondre avec le rebelle, affrontèrent le feu des batteries de la ville. Ainsi nous compliquâmes la position presque désespérée d’Oribe de l’appréhension d’une guerre extérieure, éloignant de lui les hommes timorés qui redoutaient pour leur pays la colère de la France, et nous donnâmes à la cause de son rival une nouvelle force mo-