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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

forfaits. Telle est, disait-on, l’unanimité des vœux de la population argentine pour la déchéance de ce monstre, qu’il suffirait d’offrir à ce peuple de victimes un point d’appui pour qu’aussitôt la nation entière se levât comme un seul homme, et demandât compte à son bourreau de tous ses crimes. Que la France jette seulement sur le sol de la république un bataillon de ses soldats, qu’elle élève un drapeau à l’ombre duquel tous ceux qui se déclareront contre Rosas trouveront un asile, et à l’instant Buénos-Ayres se donne à nous ; la ville et la campagne, affranchies d’un joug sanglant, salueront la France du nom de leur libératrice, et le tyran abandonné de tous n’aura d’abri qu’à bord des navires de l’Angleterre.

Telles sont les idées que M. Roger fut chargé d’accréditer auprès de son gouvernement. Il demandait une expédition militaire, un corps de troupes peu nombreux, et il répondait du succès. De son côté, M. le contre-amiral Leblanc donnait les mêmes assurances ; il réclamait de nouvelles forces, des soldats pour opérer un débarquement et détruire d’un seul coup (ainsi le croyait-il) cet homme qui depuis plus d’un an nous défiait et nous tenait en échec. Mais cette fois le gouvernement français ne jugea pas prudent de se livrer aveuglément aux conseils du contre-amiral et du jeune consul : le nouveau projet pouvait entraîner à de graves conséquences ; avant de se jeter dans cette expédition, on interrogea les faits accomplis. — Si la lutte avait été engagée, c’était sur l’assurance bien positive qu’il suffirait d’une simple menace de la France pour dompter le général Rosas : la menace avait été faite, et Rosas n’en avait tenu aucun compte. Puisqu’une parole n’est point assez significative, eh bien ! que M. Roger quitte Buénos-Ayres ! et le consul de France avait levé sa chancellerie, et Rosas avait vu, sans s’en inquiéter, notre drapeau se ferler sous ses yeux. Alors on avait dit : Déclarez l’interdit des côtes argentines, bloquez Buénos-Ayres, et vous verrez tomber tout cet orgueil. Le contre-amiral Leblanc avait prononcé la formule sacramentelle du blocus ; mais le général Rosas était resté impassible, il avait vu fermer ses ports, enlever son île de Martin-Garcia, une coalition de tous ses ennemis appelés par nous se former et grossir, sans paraître même s’en émouvoir. — En présence de tant d’assurances si souvent démenties par les faits, le ministère sentit chanceler sa confiance dans les hommes qui les avaient si hardiment garanties ; il attendit que les évènemens vinssent l’éclairer, et lui tracer une marche moins incertaine.

Cependant nos agens dans la Plata, livrés à leurs seules ressources, s’irritaient de leur impuissance et accusaient le gouvernement de les abandonner. Des considérations particulières ajoutaient encore à leurs ennuis : ils supportaient mal l’ironie et les plaisanteries blessantes que le commerce étranger faisait pleuvoir sur eux. Quelques bruits injurieux s’étaient répandus sur la manière dont le commerce de contrebande était mené et sur certaines licences accordées par le chef de notre division navale. Celui-ci en éprouva le plus vif ressentiment et, pour donner un démenti à tous les propos calomnieux, il résolut de frapper sur les contrebandiers et le commerce argentin un coup dont le souvenir restât.