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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

révolte, comprimé un instant par la présence des troupes victorieuses, fit explosion de nouveau dès qu’elles se furent éloignées ; le 6 octobre, la chambre des représentans destitua Romero et nomma provisoirement à sa place le brigadier-général don Pedro Ferré, choix que la nation ratifia. Il fallait organiser le pays et le mettre en état de défense ; il fallait trouver un officier éprouvé sur le champ de bataille, qui pût donner de la confiance à la nouvelle armée, la discipliner, l’exercer, tout en restant lui-même sous la dépendance du gouverneur de l’état. Ferré, homme habile dans les affaires et citoyen vertueux, n’avait de militaire que son titre de général. Lavalle se présenta au milieu de ces circonstances uniques ; il réunissait précisément toutes les qualités qu’on recherchait dans le chef militaire : sa bravoure était connue, et l’affaire d’Yerua donnait encore un éclat nouveau à son renom de vaillance ; d’ailleurs suppliant et réduit à demander asile, il ne pouvait inspirer d’ombrage. Ferré n’hésita point à l’accueillir, et, comptant sur sa reconnaissance, il le nomma général en chef de l’armée des Correntinos, se réservant, comme chef suprême de l’état, la haute direction des troupes.

Étrange caprice de la fortune ! Tout à l’heure le général Lavalle n’était qu’un simple chef de rebelles, soulevé contre le gouvernement reconnu et légal de son pays par l’argent de l’étranger, un homme que le succès seul pouvait arracher aux lois humaines, qui toutes le condamnaient impitoyablement à une mort ignominieuse, et voici qu’il devenait tout à coup le général d’un état constitué légalement, et la loi des nations sanctionnait désormais ses entreprises. À partir de ce moment, notre politique tendit à raviver le fameux traité du 31 décembre 1838, entre le président Rivera et le gouverneur de la province de Corrientes, à reconstruire cette ligue si rapidement et si désastreusement dissoute, pour lancer sur Rosas les armées combinées de Corrientes et de l’Uruguay, dont Rivera serait encore le généralissime.

Echague menaçait Montevideo ; déjà même il n’en était plus éloigné que de quelques lieues.. Cette ville était le pivot de notre blocus, il fallait à tout prix nous la conserver. Dans ce but, notre chargé d’affaires proposa de la mettre sous la protection d’une garnison de marins français. Par là Rivera se trouvait délivré de l’inquiétude de la couvrir, ce qu’il n’espérait pas pouvoir faire ; elle lui restait comme le point d’appui de ses opérations, centre inébranlable entre les mains des Français où se briserait en vain l’armée d’Echague, et toutes ses forces demeuraient disponibles pour agir contre l’ennemi. Le président Rivera reçut avec joie cette proposition, que les habitans eux-mêmes le pressèrent d’accepter. Nous ne retracerons point ici les répugnances de M. le contre-amiral Leblanc à l’idée de faire occuper Montevideo par nos matelots ; on lui arracha son consentement et quatre cents hommes pris sur nos navires, soutenus par les Français de la ville qui s’armèrent en même temps, répondirent au gouvernement oriental de la sûreté de cette place.

Certes, nous pouvons le déclarer hautement, les services que nous avons rendus au général Rivera, en intervenant dans les affaires de son pays, sont incontestables, sont immenses. À Montevideo, notre division navale et notre