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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

toute communication d’une rive à l’autre entre les troupes de Rosas, sans cependant opérer aucun débarquement de nos marins. Les navires défilèrent en ligne sous les batteries du Rosario, qui cette fois ne restèrent pas silencieuses ; elles ouvrirent leur feu, et nos marins ripostèrent chaudement. Nous n’eûmes heureusement à déplorer la perte d’aucun des nôtres.

Ce fut près de la Bajada que la flottille alla prendre position : ainsi elle avait devant elle, d’un côté la capitale de l’Entre-Rios, à la prise de laquelle elle était prête à coopérer puissamment dès que le général Lavalle se présenterait pour l’attaquer, de l’autre Santa-Fé, dont elle surveillait tous les mouvemens et qu’elle tenait comme bloquée. D’ailleurs, elle pouvait établir des communications faciles avec l’armée de nos amis. Mais hélas ! nos espérances reposaient sur une base bien fragile, sur un pacte d’union entre notre agent, Rivera, Ferré, Lavalle et ses Argentins ! Nous ne connaissions que trop déjà la foi punique de Rivera, et malheureusement nous ne voulions pas voir que son apparente perfidie n’était que le résultat d’une science parfaite des hommes et des choses de son pays. Nos plans furent toujours des chimères à ses yeux ; s’il eut l’air de se prêter à nos illusions, ce fut pour avoir sa part de notre argent : sa seule prétention était de demeurer le maître chez lui, et il y réussit. Ferré ne songeait qu’à protéger sa province : on le berça de l’espoir d’expulser de l’Entre-Rios toutes les troupes de Rosas, et il se laissa séduire à une idée dont sa confiance en Rivera et son ignorance de l’art militaire lui cachaient toutes les difficultés. Le général Lavalle et ses Argentins n’avaient qu’un seul but, rentrer à Buénos-Ayres en renversant Rosas ; c’était le nôtre : aussi un intérêt plus particulièrement commun nous liait-il plus intimement à ces derniers. Une honteuse défiance régnait entre tous les intéressés ; on se sentait toujours prêt à se trahir mutuellement. De part et d’autre, on s’envoya des députés pour tâcher de cimenter l’union entre les chefs ; nos officiers furent chargés de donner au gouverneur Ferré l’assurance que Rivera passerait dans l’Entre-Rios le plus tôt possible avec deux mille hommes et dix pièces d’artillerie, que Lavalle se rangerait immédiatement sous les ordres de Rivera, nommé général en chef ; qu’il fallait donc que le gouverneur de Corrientes usât de son pouvoir et de son influence pour maintenir la bonne harmonie entre les deux rivaux. On promettait que Rivera ne passerait point le Parana, cette seconde partie de l’entreprise étant dévolue au général Lavalle, qui d’ailleurs, reniant ses antécédens politiques, s’était engagé, une fois maître de Buénos-Ayres, à ne point prendre lui-même l’autorité suprême, et à ne point établir un gouvernement unitaire que réprouvait le vœu général. L’envoyé de Rivera fit les mêmes protestations. Ferré, sincèrement dévoué à sa patrie et à la cause qu’il embrassait, homme de mœurs antiques et simples aussi bien que son ami M. Aimé Bonpland, notre compatriote, qu’il admet à tous ses conseils, Ferré crut à toutes ces paroles, et se livra avec une foi naïve aux promesses de l’avenir. Il nomma Rivera généralissime de l’armée combinée, et prépara une sorte de congrès entre lui, représentant de la république de Corrientes, Rivera et Lavalle, où seraient appelés comme membres consultants