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AFFAIRES DE BUÉNOS-AYRES.

convaincus que, quelle que fût l’issue de l’entreprise, il saurait la marquer d’un cachet de glorieuse énergie. Quant aux instructions qu’il reçut de son gouvernement, il n’est pas nécessaire d’être dans les secrets de l’état pour les connaître. La politique de la France à l’égard de la République Argentine n’a point de mystères sans doute ; les discussions de la chambre des députés n’ont rien laissé ignorer à cet égard. Nous n’avons dans ce pays d’autres prétentions, d’autres intérêts que ceux de notre commerce. Toute idée de conquête ou d’envahissement doit être repoussée comme une folie. Nous ne pouvions vouloir, nous ne voulions que les bases fondamentales de l’ultimatum, c’est-à-dire la consécration du principe des indemnités pour nos nationaux lésés par les administrations antérieures, et des garanties pour leurs personnes et leurs propriétés égales aux priviléges concédés aux autres nations ; enfin, bien qu’on ne pût invoquer aucun engagement public de notre part, afin de ne pas laisser même suspecter la loyauté de la France, nous voulions encore obtenir quelque stipulation favorable aux Argentins qui s’étaient attachés accidentellement à notre cause.

De deux choses l’une : ou le général Lavalle était réellement populaire dans la république et réunissait en sa faveur les vœux de la nation, ainsi que le prétendait notre chargé d’affaires, et alors les millions déjà avancés par nous, les armes, les munitions que nous lui avions fournies, le puissant soutien qu’il avait trouvé dans notre division navale, devaient avoir assuré le triomphe prochain de sa cause ; et si déjà il n’avait renversé son rival, s’il n’était déjà établi à Buénos-Ayres maître des destinées du pays, au moins les choses devaient être si avancées, que nul doute ne pouvait plus rester sur une solution imminente de la lutte en sa faveur. Ou bien l’on s’était trompé sur l’influence de ce parti révolutionnaire, et on avait fomenté étourdiment la guerre civile dans le pays ; alors Lavalle n’était qu’un chef sans consistance, lancé presque en enfant perdu dans les provinces argentines et tirant sa principale force de l’étranger. Dans le premier cas, s’il était vrai que Rosas eût soulevé contre lui l’indignation générale de la république, qu’il se fût fait exécrer comme un effroyable tyran, il ne fallait pas hésiter à jeter dans la balance l’épée de la France, et, sous sa noble intervention, faciliter aux provinces argentines affranchies soudain d’un joug odieux, les moyens de se constituer selon le vœu populaire : notre intérêt, celui de l’humanité, nous en faisaient une loi. Dans le second cas, cette même humanité nous imposait le devoir de nous retirer d’une voie fausse, d’une voie de sang et de carnage, car les atroces vengeances qu’allume la guerre civile, nous les éternisions par notre appui, et nous couvrions d’un long deuil ce pays, déjà si malheureux.

L’amiral Baudin arrêta d’abord son esprit sur l’emploi de la force. Il connaît bien ces pays de descendance espagnole, et sa première pensée fut qu’une expédition lancée de France à travers deux mille quatre cents lieues de mers, pour se hasarder au milieu des pampas, à la poursuite de bandes insaisissables de gauchos, ces Scythes des déserts de l’Amérique, n’avait en perspective que des chances de désastre. Il fallait donc se borner à un brillant coup de