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plus petits encore. Catamarca est resserré entre deux étroites frontières ; ses intérêts principaux sont concentrés dans l’exploitation de ses mines, ses habitans ne pourraient vivre épars. On pourrait même déterminer le caractère des habitans et les tendances des divers gouvernemens d’après la physionomie de la contrée. Dans les provinces consacrées principalement à l’élève des bestiaux, comme Buénos-Ayres, Santa-Fé, Cordova, Entre-Rios, etc., l’homme des champs toujours à cheval et en action, sent sa force ; la souveraineté populaire réside dans la campagne ; c’est la domination du paysan, du gaucho. Les états agricoles sont plus disposés au gouvernement tempéré. Quant au Tucuman, chaque famille conquérante a fondé son pouvoir dans son vallon et l’y maintient : là, le seigneur féodal, le baron, l’aristocrate, y est de sang espagnol, le vassal de race indienne.

Il advint de tout cela que chaque province constitua une individualité jalouse de ses droits, en rivalité constante et souvent en guerre avec ses voisins. Cependant, sous le pouvoir absolu de l’Espagne, sous son joug de fer, tout pliait ; et bien qu’il y eût à peine quelques liens communs entre les provinces, toutes obéissaient à la même autorité étrangère. Au cri de l’indépendance, tous ces membres épars semblèrent un instant se rallier en faisceau ; mais cette union, que cimentait seulement un intérêt éphémère, la haine de la domination espagnole, fut bientôt dissoute avec la cause passagère qui l’avait produite. Chaque état s’efforça d’isoler son existence de celle des autres états, et de former une unité indépendante. C’est un fait que jamais les treize provinces ne constituèrent un tout compact, un corps de nation bien unie et soumise à une loi générale. On les vit seulement s’associer et s’allier partiellement deux à deux, trois à trois, sous l’empire d’un danger commun, absolument comme sont associés aujourd’hui Rosas, Echague et Lopez. La collection des traités et conventions des états en fait foi.

Cependant Buénos-Ayres rêvait d’autres destinées. Nous avons dit quels avantages commerciaux lui confère sa position exceptionnelle. Elle voulait fonder une confédération générale dont elle eût été forcément la tête ; et cette prérogative, elle la revendiquait encore au nom des grands services qu’elle a rendus à la liberté de l’Amérique. C’est de son sein qu’est partie la première étincelle de la révolution ; c’est elle qui conduisit la guerre de l’indépendance, elle qui fournit des armes, de l’argent, des soldats, des généraux, au Chili, aux deux Pérous ; elle enfin qui imposa une barrière aux envahissemens de l’empire du Brésil, et fit constituer l’état de l’Uruguay. Elle faisait valoir d’autres droits encore. Parmi ses habitans, la haute classe possédait d’immenses domaines et de grandes richesses commerciales. Les plus distingués empreints des mœurs et de la civilisation de l’Europe, rappelaient par leur élégance et leur politesse les raffinemens du monde parisien. Ils crurent que cette civilisation exquise, dont ils étaient fiers à juste titre, devait naturellement s’établir et dominer sur leur pays, comme si les peuples, ainsi que les particuliers, n’avaient pas divers degrés d’éducation. Dans leur plan de confédération, l’élite de la société représentait tout le pays en face des autres