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Don Lope, craignant que l’irritation des esprits ne finisse par causer quelque malheur, se décide à hâter le départ des troupes. Les ordres sont aussitôt donnés pour qu’elles continuent immédiatement leur marche. Il prend lui-même congé de ses hôtes avec la courtoisie la plus gracieuse. À Isabelle, il laisse en souvenir une croix de diamans. Il consent à emmener avec lui et à prendre sous sa protection son jeune frère, qui désire embrasser la profession des armes.

Déjà les soldats sont partis. Isabelle, sortant de l’espèce de prison où son père l’avait reléguée par prudence, vient devant la porte de sa maison respirer la fraîcheur du soir. Elle ne soupçonne pas le danger qui la menace. Le capitaine don Alvaro, plus irrité que découragé par tous les obstacles que sa folle passion a successivement rencontrés, s’est promis de la satisfaire à tout prix. À l’entrée de la nuit, il revient secrètement à Zalamea avec quelques soldats, il surprend Isabelle et l’entraîne dans un bois voisin. Crespo, qui aux cris de sa fille s’est empressé de prendre une épée et d’accourir, essaie vainement de la délivrer ; les complices de don Alvaro le désarment, et, pour l’empêcher d’aller chercher du secours, l’attachent à un arbre où il s’épuise en vains efforts pour se dégager. Son fils, qui se préparait déjà à aller rejoindre don Lope, averti trop tard, se met aussi à la poursuite des ravisseurs ; lorsqu’à l’aube du jour il parvient enfin à les joindre, il n’est plus temps de sauver l’honneur de la malheureuse Isabelle, il ne peut penser qu’à la venger. Tandis qu’il se précipite avec fureur sur don Alvaro, qui tombe percé d’un coup d’épée, Isabelle, éperdue, s’échappe des bras de son coupable amant. Dans la honte qui l’accable, elle ne sait où diriger ses pas. Le hasard la conduit au lieu même où son père est enchaîné depuis la veille. La situation ainsi amenée par Calderon est sans doute neuve et hardie, tellement hardie que je ne sais s’il était possible d’en surmonter toutes les difficultés, et de prêter à cette jeune fille prosternée, en larmes, aux pieds du vieux Crespo, un langage qui ne blessât pas plus ou moins les convenances. En tout cas, la condition première d’un tel langage devait être une extrême simplicité. Calderon ne l’a pas compris. Rien de plus prolixe et de moins naturel que le récit qu’Isabelle fait à son père ; la métaphore et l’antithèse y abondent ; elle se perd en déclamations sentimentales contre la grossièreté du sentiment qui peut consentir à devoir à la violence le prix dû seulement à l’amour partagé. Tout cela, bien qu’exprimé en fort beaux vers, est certainement fort ridicule dans un tel moment ; mais on retrouve Calderon dans la réponse de Crespo. En présence d’une infortune désormais irréparable, ce noble vieillard, dont la colère ne connaissait aucune borne tant qu’il conservait encore quelque espoir a retrouvé tout son calme. C’est lui qui console sa fille. « Lève-toi, mon Isabelle, lève-toi, lui dit-il ; si le ciel ne nous avait pas destinés à éprouver ces grandes douleurs, pourquoi nous aurait-il donné la force de souffrir ? C’est dans de telles occasions que nous devons user de notre courage. Hâtons-nous de regagner ma maison. Pensons à ton frère. En s’attaquant au capitaine, il s’est