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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

des concessions importantes, dans l’espoir de vaincre les répugnances et de gagner les cœurs qui s’éloignaient d’elle, ferme l’oreille aux remontrances des ambassadeurs de France, à la clameur sourde et furieuse des bourgeois, confère à Bothwell plusieurs seigneuries, châteaux et principautés, et se trouve ainsi seule en face de sa passion satisfaite, de ce jugement inique, de cette collusion évidente et de sa ruine imminente.

Il faudrait un volume pour analyser les faits curieux contenus dans les manuscrits de l’époque, journaux des citoyens, lettres dues à des plumes contemporaines, matériaux qui se pressent et s’accumulent dans un étroit espace de temps, et qui tous montrent Marie livrée à la passion la plus aveugle, à cette hallucination impérieuse qui ne laisse place ni au raisonnement ni à la crainte.

Bientôt, le 19 avril, on voit une compagnie d’arquebusiers entourer la taverne d’Ansley à Édimbourg. Là sont réunis les principaux nobles que Bothwell a invités à souper. On boit jusqu’à minuit. Alors Bothwell, tirant de sa poche une autorisation signée de la reine, et se levant, lit cette autorisation, puis un engagement (band) contenant promesse de soutenir et d’aider Bothwell dans son dessein d’épouser Marie Stuart. Il réclame la signature de tous les seigneurs : un seul convive, lord Églinton, se sauve par une fenêtre[1]. Les autres, ou gagnés ou effrayés, signent le band. L’audace et le succès de Bothwell emportent et entraînent tout avec lui. Cependant il n’y avait pas un de ces mouvemens dont Élisabeth ne fût avertie jour pour jour, même d’avance, ou par ses agens, ou par les seigneurs qu’elle entretenait à sa solde. Ainsi, le lendemain du souper, Grange, un des personnages d’Écosse les plus considérables, révélait au duc de Bedford[2] ce qui venait de se passer : « La reine est folle ; les nobles sont esclaves ; tout ce qui est déshonnête règne maintenant à la cour. Dieu puisse nous délivrer ! Bientôt la reine épousera Bothwell. Sa passion pour lui a bu toute honte. Peu m’importe, disait-elle hier, que je perde pour lui France, Écosse et Angleterre. Plutôt que de le quitter, j’irai au bout du monde avec lui en jupon blanc. » — Une autre lettre anonyme qui existe encore, et qui a été écrite à minuit, le 24 avril, par un espion d’Élisabeth, lui communique les révélations suivante : « La femme de Bothwell et Both-

  1. Lettre des commissaires d’Élisabeth à la reine, 11 octobre 1568. Mémoires d’Anderson, tom. IV, pag. 60, Musée britannique.
  2. 20 avril 1567, lettre manuscrite.