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THÉATRE ESPAGNOL.

Crespo. — Je ne vous empêche pas d’y aller ; seulement, je vous avertis qu’il y a ordre de tirer sur le premier qui approchera.

Don Lope. — Oh ! je ne crains pas les balles ; mais, en cette occasion, il ne faut rien mettre au hasard. Holà ! soldat, va dire à toutes les compagnies qui sont logées dans les environs de se rendre ici en bataille, fusil chargé et mèche allumée.

Le soldat. — C’est inutile, les voici qui arrivent déjà de tous côtés.

Don Lope. — Nous verrons bien si on me rendra le prisonnier.

Crespo, entrant dans sa maison. — Je vais y mettre bon ordre.

Don Lope. — Soldats, voilà la prison où est le capitaine ; si on ne le rend pas, mettez-y le feu à l’instant, et brûlez tout le village, s’il veut se défendre.


Au moment où les soldats et les paysans rassemblés par Crespo vont en venir aux mains, on annonce l’arrivée du roi, attendu depuis le matin. Le roi s’étonne de tout ce tumulte, il en demande la cause. Don Lope lui répond qu’il ne faut l’imputer qu’à l’incroyable audace d’un alcade de village qui a fait arrêter un capitaine et qui ne veut pas le rendre.


Le Roi. — Et quel est cet alcade ?

Crespo. — Moi, sire.

Le Roi. — Comment excusez-vous votre conduite ?

Crespo. — Par le procès qui a été dressé et qui prouve le fait d’un délit digne de mort. Il s’agit d’une jeune fille enlevée de force, déshonorée dans un lieu inhabité, et que le coupable a refusé d’épouser lorsque son père est allé l’en supplier.

Don Lope. — Sire, celui qui vous parle est tout à la fois l’alcade et le père.

Crespo. — Il n’importe. Si un étranger était venu me demander justice, n’aurais-je pas dû la lui faire ? Et pourquoi ne me serait-il pas permis d’accorder à ma fille ce que je ne refuserais pas à d’autres ?… Jetez les yeux sur les pièces du procès, voyez, examinez si j’ai commis quelque prévarication, si j’ai séduit quelque témoin, si j’ai ajouté quelque chose aux dépositions. Si l’on peut rien prouver de semblable, j’ai mérité la mort.

Le Roi. — Tout me paraît en règle, mais vous n’avez pas l’autorité nécessaire pour rendre la sentence exécutoire ; cela regarde un autre tribunal ; envoyez-y l’accusé.

Crespo. — Cela me serait difficile, sire. Comme il n’existe à Zalamea qu’un degré de juridiction, les arrêts y sont immédiatement exécutés. C’est ce qui vient d’avoir lieu pour celui-ci.

Le Roi. — Que dites-vous ?

Crespo. — Si vous n’en croyez pas mes paroles, tournez les yeux de ce côté, voilà le capitaine.


Une porte s’ouvre et on aperçoit le cadavre de don Alvaro assis dans un fauteuil où il vient de subir la peine du garrot, c’est-à-dire de l’étranglement.