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Garcia ne sait pas qu’il a donné sa main à la descendante des rois de Castille. Leur protecteur commun n’a pas cru pouvoir le lui révéler encore.

Les deux jeunes époux, vivement épris l’un de l’autre, mènent, dans leur heureuse retraite, une existence que le poète a su peindre avec un charme infini. Ce n’est pas celle de puissans seigneurs féodaux, elle ne conviendrait pas à leur situation ; c’est celle que pouvaient avoir alors de riches roturiers ; c’est le mélange d’une abondance un peu rustique avec un certain luxe, une certaine élégance même, où se révèle le sentiment de ce qu’ils sont en effet. Garcia ne s’éloigne quelquefois de sa bien-aimée que pour aller chercher dans les émotions bruyantes de la chasse l’image des hasards et des périls de la guerre, encore interdits à son courage, et une distraction plus conforme à son instinct que les occupations obscures de l’agriculture. Blanche vivant au milieu de ses nombreux serviteurs, leur distribuant le travail, partageant leurs amusemens, est un modèle délicieux de grace, de finesse, de naïveté piquante. Son langage est tout à la fois en accord avec ce qu’elle est réellement et avec ce qu’elle croit être. Il n’y a rien dans ses propos qui ne convienne à la fille des rois, mais rien aussi qui ne puisse se concilier avec l’éducation modeste qu’elle a reçue loin des villes et de la cour.

Cependant le roi Alfonse, qui se prépare à sa fameuse expédition contre Algésiras, a réclamé le concours de ses sujets pour cette grande entreprise qui doit tant contribuer à hâter la fin de la domination des Maures. Les Castillans ont répondu généreusement à l’appel de leur souverain. Il se fait lire l’état des offres de secours arrivées de toutes parts. Don Gil de Albornoz promet de lever et d’entretenir dix mille soldats, le comte d’Orgaz en mettra sur pied deux mille, le comte d’Astorga quatre mille, les bonnes villes enverront seize mille combattats, les trois confréries de Castille feront marcher toutes leurs troupes, le comte d’Aguilar fournira, avec mille chevau-légers, un subside de mille ducats ; enfin Garcia del Castañar donnera, pour sa part de contribution aux frais de la campagne, cent quintaux de viande salée, deux mille fanègues de farine, quatre mille d’orge, quatorze cuves de vin, et trois troupeaux entiers sous l’escorte de cent fantassins. « Mon offrande, a-t-il ajouté, serait moins modeste, si l’année eût été plus favorable ; mais je supplie sa majesté de vouloir bien accepter avec elle le dévouement simple et franc d’un homme loyal, qui connaît ses devoirs s’il ne connaît pas son souverain. »

La magnificence de ce don étonne le roi. Il demande quel est ce Garcia dont le nom même lui était inconnu. Le comte d’Orgaz saisit avec empressement l’occasion de préparer les voies à la réhabilitation de son protégé. Sans révéler encore à Alfonse l’illustre origine du fils du proscrit, il lui vante son courage, sa force, son adresse éprouvée à la chasse des bêtes féroces et dans les combats de taureaux ; il le présente comme un homme qui, s’il l’emmenait à l’armée, pourrait lui rendre d’importans services, mais qu’un caractère indépendant et sauvage a jusqu’à présent éloigné de la cour ; il lui décrit l’établissement magnifique et rustique tout à la fois que Garcia s’est créé au milieu