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THÉATRE ESPAGNOL.

en vain pour me persuader. Encore une fois, je sais que tout cela ne me convient pas. Je ne donnerais pas pour tout ce qu’il possède un pouce du terrain de Castañar, et je proteste que par ces paroles je n’entends pas porter atteinte au juste éclat dont son trône est environné. Mais laissons cela ; il est temps que je fasse préparer le repas que vous voulez bien accepter.


Ce qui, à notre avis, constitue la beauté de cette scène, c’est que les argumens par lesquels Garcia motive son éloignement pour la cour ne sont pas purement des banalités philosophiques noblement exprimées. Le roi, qui ne le connaît pas, pourrait n’y voir que cela ; mais, dans la pensée de Garcia, chacune des paroles qu’il prononce est une amère allusion aux malheurs de son père et à ceux qui ont poursuivi son enfance. Cela est vraiment dramatique.

Tandis que le roi, par des entretiens adroitement dirigés, met ainsi à l’épreuve l’ame et l’esprit de son hôte, don Mendo, le courtisan au cordon rouge, tente une entreprise moins généreuse. Frappé de la beauté de Blanche, il a conçu l’espérance de séduire sans beaucoup de peine une villageoise qui, à ce qu’il suppose, doit être facilement éblouie par les hommages d’un homme tel que lui. Il y a beaucoup d’agrément dans la manière dont elle repousse ses propos galans, sans éclat d’indignation, sans faire parade de sa vertu, avec une malicieuse affectation d’humilité et d’ignorance rustiques, dont l’ironie, mêlée parfois de traits assez fins, doit lui faire comprendre qu’il serait inutile et peut-être imprudent de persister dans ses projets de séduction. Cela rappelle quelques-uns des plus jolis dialogues de Tirso de Molina.

Lorsque les nobles visiteurs ont quitté le Castañar, Garcia, qui a remarqué les assiduités de don Mendo auprès de sa femme, et qui, le prenant pour le roi, en a conçu quelque inquiétude, laisse voir une certaine préoccupation. Quelques mots de Blanche, pleins de grace, d’enjouement et de tendresse, le rassurent d’autant plus facilement, que, dans sa loyauté, il se reproche d’avoir pu concevoir un pareil soupçon sur celui qu’il regarde comme son souverain.

Mais don Mendo, forcé de s’éloigner, pour accompagner le roi, n’a pas renoncé à son coupable projet. Convaincu, dans sa présomption, que la résistance de Blanche n’a rien de bien sérieux, il veut faire une nouvelle tentative pour en triompher. Dès le lendemain, un valet qu’il a gagné lui apprend que Garcia doit passer la nuit dans les montagnes à la chasse du sanglier. Il se décide à profiter de cette absence, et, accourant en toute hâte de Tolède, il pénètre vers minuit dans la maison de Garcia par une fenêtre que son complice a laissée ouverte à dessein. On peut juger de sa consternation lorsqu’il aperçoit Garcia lui-même, qu’un hasard heureux a ramené chez lui avant l’heure accoutumée. Pour bien apprécier la scène qui va suivre entre ces deux hommes, rappelons-nous l’erreur à laquelle a donné lieu le cordon rouge, insigne de l’ordre de chevalerie conféré au courtisan.