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LA HOLLANDE.

de la route. Il fait de nouveau un long et hypocrite plaidoyer ; il trompe de nouveau le roi, en le leurrant par l’espoir de retrouver trois joyaux précieux qu’il prétend lui avoir envoyés. Condamné à se battre en champ clos contre le loup, il parvient, par un tour d’adresse, à le terrasser. Cette victoire est regardée comme le jugement de Dieu, et Renard devient le favori du roi. Le poème se termine par cette vive et mordante satire, qui semble avoir été écrite au XIIIe siècle pour le XIXe :

« Ceux qui ont les ruses de Renard sont chéris partout, et partout on les croit sur parole. Dans l’état ecclésiastique et dans le monde, on s’en rapporte aux conseils de Renard. On suit les détours de Renard, on marche sur ses traces. La réputation qu’il s’acquit dans le temps lui est toujours restée. Il a laissé une race nombreuse dont la fortune et la puissance s’augmentent sans cesse. Celui qui ne pratique pas les ruses de Renard ne vaut rien pour ce monde et n’obtient du pouvoir dans aucun état ; mais s’il peut tendre les mêmes filets, s’il a été un écolier, il saura bien se faire un gîte. Il sait user des circonstances, il monte, et on le pousse en avant. Il y a une race de renards qui maintenant s’agrandit toujours : on trouve plus de renardeaux (sans barbe rousse, il est vrai) qu’on n’en vit jamais. La justice a disparu ; la bonne foi et la vérité sont anéanties. À leur place, il nous est resté, l’avarice, la méchanceté, la haine, l’envie. Tout est au pouvoir de ces vices. Avec leur seigneur, maître Orgueil, ils règnent sur la terre. À la cour du pape comme à celle de l’empereur, chacun cherche à enlever à son prochain l’honneur et la réputation, à se mettre en faveur par la ruse ou par la simonie. À la cour, on ne connaît que l’argent. L’argent est plus aimé que Dieu et a plus de pouvoir. Qui apporte de l’argent est le bien-venu, et ses désirs sont accomplis les premiers. Parmi les hommes et parmi les femmes, l’argent produit l’infidélité, enfante la honte et le faux témoignage. Le libertinage, la méchanceté, la luxure, ne sont qu’un jeu pour le clergé. Le pape et l’empereur de Rome sont entrés dans l’ordre de Renardie. En toute chose chacun ne pense qu’à soi. Je ne sais ce qui en arrivera »

Ce second roman du Renard est en grande partie imité des poèmes français. Mais le premier est certainement une œuvre à part, une épopée complète, une comédie excellente écrite avec verve, avec une profonde connaissance des vices du temps et des subtilités du cœur humain. Jacob Grimm dit que cette satire de la société est, après la Divine Comédie, le meilleur poème du moyen-âge, et nous