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DE L’ALLIANCE ANGLO-FRANÇAISE.

Cependant il y a lieu de penser qu’après la victoire de la coalition et quand le 12 mai arriva aux affaires, il existait une belle chance d’effacer entre la France et l’Angleterre tous les ressentimens des dernières années, et de renouer solidement l’alliance. Le cabinet anglais était alors fort préoccupé de la question d’Orient, et la Russie l’inquiétait. Dans un pays libre, d’ailleurs, l’opinion publique pèse toujours plus ou moins sur le gouvernement. Or, l’opinion publique, qui se souciait peu des irritations personnelles de lord Palmerston, n’avait pas aperçu, du moins dans toute son étendue, la brèche faite à l’alliance, et restait aussi favorable à la France que contraire à la Russie. C’est sous l’impression de ces sentimens et de ces inquiétudes que le cabinet anglais manifesta le désir d’un accord intime entre la France et l’Angleterre dans la question d’Orient, et d’une action commune. Mais le cabinet du 12 mai préféra poursuivre le concert européen, et les ouvertures de l’Angleterre n’eurent aucune suite. Il y a lieu de croire que ce fut là le dernier coup porté à l’alliance, et que lord Palmerston, dont les rancunes n’étaient point éteintes, tira grand parti de cet incident. « L’alliance de la France, ne cessa-t-il de répéter dès-lors, est sans doute fort précieuse ; mais qu’est-ce qu’une alliance qui n’agit jamais ? La France, si elle le veut, est maîtresse de temporiser toujours et de regarder faire tout le monde, plutôt que de risquer une rupture avec personne ; mais une telle politique ne saurait convenir à l’Angleterre. De tout temps, l’Angleterre a eu l’habitude de mettre la main partout et de se mêler de tout ce qui se passe. Elle ne renoncera pas à cette habitude pour plaire à son alliée. » Quand, profitant habilement de cette disposition, la Russie offrit à lord Palmerston d’oublier les anciennes querelles et de s’entendre, la Russie trouva donc lord Palmerston tout prêt à l’accueillir.

Je n’ai pas besoin de rappeler jusqu’où les choses avaient été poussées lorsque M. Thiers devint premier ministre. Déjà toutes les bases de l’arrangement étaient posées, et il ne manquait plus, pour compléter l’œuvre, que l’accomplissement de quelques formalités. Personne pourtant, s’il eût été temps encore, n’était mieux placé que M. Thiers pour renouer l’alliance. En 1836, M. Thiers avait soutenu, dans le cabinet français, la même politique que lord Palmerston, et il s’était retiré plutôt que de renoncer à cette politique. En 1838 et 1839, il avait placé au nombre de ses principaux griefs contre le 15 avril le relâchement des bons rapports entre la France et l’Angleterre. En 1840, enfin, il venait de prononcer un discours qui lui avait attiré le reproche de vouloir sacrifier à l’alliance anglaise les grands