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intérêts nationaux. Aussi l’avénement de M. Thiers fut-il accueilli à Londres avec beaucoup de satisfaction ; mais, soit que les choses parussent trop avancées, soit qu’on eût pris son parti d’agir, pour cette fois, sans la France, on n’offrit à M. Thiers rien de plus qu’à ses prédécesseurs. Il se trouva donc dans l’alternative ou de laisser périr une alliance qui lui était chère, ou de sacrifier à cette alliance la politique constante et les intérêts indubitables du pays. On sait quel fut son choix. Pour moi, malgré tout ce qui s’est passé, je l’en loue hautement, et j’ajoute que ceux qui le lui reprochent demanderaient aujourd’hui, s’il en eût fait un contraire, sa mise en accusation.

Dans ce court résumé, j’ai tâché d’être juste et de ne pas grossir les torts de nos adversaires en dissimulant les nôtres. En y regardant de près, il est pourtant aisé d’apercevoir que si, pendant que l’alliance a duré, la France s’est plus d’une fois montrée inerte, irrésolue, malhabile, l’Angleterre est loin d’avoir mis dans sa politique toute la netteté, toute la droiture qu’on devait attendre d’elle. Il est aisé d’apercevoir aussi que les ressentimens personnels de lord Palmerston ont beaucoup influé sur sa conduite publique, et que, depuis plusieurs années, il était l’ennemi de la France ou du moins de son gouvernement. De l’hostilité cachée à l’hostilité ouverte et d’une brouille à une rupture il y a pourtant loin, et l’on ne peut douter qu’avant de faire le dernier pas, le cabinet anglais n’ait long-temps hésité. Pour lord Palmerston, ancien tory et ministre de cinq ou six cabinets divers, c’était peu de chose que de rompre l’alliance française et que de revenir à l’alliance des puissances absolutistes du continent. C’était beaucoup pour lord Melbourne, pour lord Clarendon, pour lord Landsdowne, pour lord Holland surtout, neveu de Fox et ami constant de la France. Aussi lord Palmerston rencontra-t-il de la part des hommes d’état que je viens de nommer une vive opposition ; mais, à force de répéter qu’il connaissait par expérience le gouvernement français, et que tout se bornerait de sa part à quelques vaines protestations, il eut l’art de gagner à sa cause lord John Russell, l’homme principal du cabinet. Au moment décisif, enfin, il employa le dernier des argumens, celui de sa démission. Or, la démission de lord Palmerston entraînait avec elle celle de lord John Russell et la chute du cabinet.

Voyons maintenant, une fois le traité signé, quel effet il produisit sur les divers partis, et quelle fut, depuis ce moment jusqu’à l’époque actuelle, la marche de l’esprit public. C’est une étude curieuse et qui porte avec elle d’utiles enseignemens.