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une certaine réserve) et une foule de feuilles quotidiennes ou hebdomadaires, dans les grandes villes manufacturières. Mais c’est surtout dans des meetings publics qu’elle manifesta ses sentimens. Ceux qui ignorent combien peu l’opinion radicale, lorsqu’elle est isolée, exerce d’influence sur les déterminations et la conduite du gouvernement anglais, attachèrent, je le sais, à ces démonstrations beaucoup trop d’importance. Elles n’en restent pas moins comme un signe très curieux des progrès que l’alliance française avait faits avant le traité du 15 juillet, au sein des masses populaires. Pour qui se rappelle l’état de l’Angleterre, il y a vingt ans, c’est assurément un étrange spectacle que de voir à Carlisle une assemblée nombreuse « désavouer hautement toute participation à l’insulte faite à la nation française au moment où la France a pour premier ministre un partisan avoué de l’alliance anglaise ; » à Newcastle un orateur déclarer, aux acclamations réitérées de la foule, que « s’il y a à choisir entre M. Thiers et une armée française d’une part, lord Palmerston et une armée russe de l’autre, il faut se joindre à la France et à M. Thiers. »

« Voilà, messieurs, ma détermination, s’écrie en terminant l’orateur, quelle est la vôtre ? Lesquels préférez-vous, les Russes ou les Français ? — (Les Français !) — Dans un tel cas, lèveriez-vous la main contre la France ? — (Non ! non !) — Êtes-vous unanimes ? (Oui ! oui ! faites voter.) — Si vous êtes unanimes, levez la main. » — Une forêt de mains se lève aussitôt au milieu des acclamations répétées : « Les Français ! les Français ! »

Je le répète, on se trompait quand on attribuait à cette scène et à plusieurs autres du même genre une portée qu’elles n’avaient pas. Il y a pourtant là quelque chose qui, soit en Angleterre, soit en France, mérite de fixer l’attention.

Ainsi les tories divisés et incertains entre l’éloge et le blâme, les whigs soutenant lord Palmerston, mais par point d’honneur plus que par conviction ; les radicaux modérés plus froids encore que les whigs et plus embarrassés ; les Irlandais se préparant, si la question devenait plus grave, à s’en faire une arme nouvelle et à n’offrir leur concours que conditionnellement ; les radicaux extrêmes enfin, unanimement soulevés contre lord Palmerston et pour l’alliance française : tel était l’état des partis en Angleterre pendant les deux mois qui suivirent le traité, c’est-à-dire au moment où l’opinion en France paraissait unanime. Il faut ajouter à cela, dans tous les partis, beaucoup d’opinions individuelles, qui, par un sentiment ici religieux, là commercial et industriel, repoussent systématiquement la guerre