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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

dans ses traits et dans son langage. Ayant parcouru Palma pour y chercher des appartemens, je suis entré dans un assez grand nombre de maisons ; tout s’y ressemblait si exactement, que je pouvais conclure de là à un caractère général chez leurs occupans. Je n’ai pénétré dans aucun de ces intérieurs sans avoir le cœur serré de déplaisir et d’ennui, rien qu’à voir les murailles nues, les dalles tachées et poudreuses, les meubles rares et malpropres. Tout y portait témoignage de l’indifférence et de l’inaction ; jamais un livre, jamais un ouvrage de femme. Les hommes ne lisent pas, les femmes ne cousent même pas. Le seul indice d’une occupation domestique, c’est l’odeur de l’ail qui trahit le travail culinaire ; et les seules traces d’un amusement intime, ce sont les bouts de cigare semés sur le pavé. Cette absence de vie intellectuelle fait de l’habitation quelque chose de mort et de creux qui n’a pas d’analogue chez nous, et qui donne au Majorquin plus de ressemblance avec l’Africain qu’avec l’Européen. Ainsi, toutes ces maisons où les générations se succèdent sans rien transformer autour d’elles, et sans marquer aucune empreinte individuelle sur les choses qui ordinairement participent en quelque sorte à notre vie humaine, font plutôt l’effet de caravansérails que de maisons véritables ; et tandis que les nôtres donnent l’idée d’un nid pour la famille, celles-là semblent des gîtes où les groupes d’une population errante se retireraient indifféremment pour passer la nuit. Des personnes qui connaissaient bien l’Espagne m’ont dit qu’il en était généralement ainsi dans toute la Péninsule.

Ainsi que je l’ai dit plus haut, le péristyle ou l’atrium des palais de chevaliers (c’est ainsi que s’intitulent encore les patriciens de Majorque) ont un grand caractère d’hospitalité et même de bien-être. Mais, dès que vous avez franchi l’élégant escalier et pénétré dans l’intérieur des chambres, vous croyez entrer dans un lieu disposé uniquement pour la sieste. De vastes salles, ordinairement dans la forme d’un carré long, très élevées, très froides, très sombres, toutes nues, blanchies à la chaux sans aucun ornement, avec de grands vieux portraits de famille tout noirs et placés sur une seule ligne, si haut qu’on n’y distingue rien, quatre ou cinq chaises d’un cuir gras et mangé aux vers, bordées de gros clous dorés qu’on n’a pas nettoyés depuis deux cents ans, quelques nattes valenciennes, ou seulement quelques peaux de mouton à longs poils jetées çà et là sur le pavé, des croisées placées très haut et recouvertes de pagnes épaisses, de larges portes de bois de chêne noir ainsi que le plafond à solives, et parfois une antique portière de drap d’or portant